La drôle de PAC


 La définition de la nouvelle Politique Agricole Commune pour 2023-2027 aura été longue. Si longue, qu’elle semble interminable avec le nouveau mécanisme des « plans stratégiques nationaux » où chaque Etat-membre peut adopter ses propres mesures de soutien. Ces arbitrages au niveau de chaque Etat-membre, soumis à caution de la Commission, ne seront validés qu’après le 31 décembre 2021. Nul doute qu’ils auront des contours très variables en fonction des priorités de production de chaque pays. Sitôt après leur entrée en vigueur début 2023, les Etats devront présenter à la Commission à partir de 2024 un « rapport annuel de performance » avant qu’elle ne « procède à un examen […] en 2025 et 2027 » sur la base d’un « ensemble d’indicateurs communs » permettant de demander « au besoin aux Etats membres de prendre des mesures correctrices ». Pas de doute, nous touchons là le summum de la simplification européenne promise. 

  Deuxième constat : le risque d’une renationalisation, entraînant les États membres dans un cercle concurrentiel, est loin d’être écarté.  Car le cadre de mesures communes présentées reste très limité. Le contenu de l’accord provisoire du 25 juin 2021 obtenu entre le Parlement et le Conseil fait plus dans la « mollesse » que dans la « souplesse ». Chacun mettra ses petits où il l’entend... et ou les rapports de force internes aux Etats le conduiront. C’est d’ailleurs cela qui a guidé le Ministre français de l’Agriculture avec tant de discussions, de précautions et de saupoudrages sur toutes les productions et sur toutes les mesures environnementales. Nous y reviendrons un autre jour plus en détail.

  Troisième constat : les contours de la future PAC refusent toujours de voir et de s’attaquer aux déséquilibres inhérents à la libéralisation des marchés agricoles. Ainsi, dans l’accord, la prise en compte de la dépendance croissante aux importations tient beaucoup plus de la communication politique que de la volonté politique de changer les choses : on s’engagerait à ce que les différentes productions soient mieux suivies par « les observatoires européens des marchés agricoles » ; on s’ouvrirait la possibilité de mesures de sauvegarde ; on offrirait aux agriculteurs la possibilité d’unir leurs forces avec de nouvelles possibilités offertes aux organisations de producteurs ; on créerait une nouvelle réserve agricole de crise dotée de 450 millions d’€ annuel ; on permettrait une régulation volontaire et anticipée à la baisse des volumes de production. Mais on ne veut surtout pas entendre parler du retour de véritables outils d’intervention directs sur les volumes, sur les prix ou les marchés. La PAC doit rester « orientée vers les besoins du marché » avec des agriculteurs de l’Union européenne qui doivent « s’adapter aux signaux du marché tout en tirant parti des possibilités offertes par le commerce hors Union ». On continue de dire donc un peu tout et son contraire. De faire mine de pouvoir allier souveraineté et libre-échange, gestion des crises et soumission aux fluctuations des marchés.  

  Quatrième constat : malgré une  volonté de « verdir » les aides avec un plancher de 25 % des montants des paiements directs dédiés aux « programmes écologiques », le volet environnemental de la future PAC laisse passer la plupart des problématiques les plus structurelles : l’adaptation des grands systèmes de production européens au changement climatique, la protection des sols, la gestion des risques environnementaux et sanitaires, les concurrences intra et extra-communautaires exacerbées dans l’utilisation des produits biocides et phytosanitaires. Certes, la Commission s’engagerait à mettre en place (au plus vite) une législation européenne sur les résidus de pesticides interdits en Europe et présents dans les produits importés. Mais quand ? Et avec quels pouvoirs de contrôle et de sanctions ? 

  Dernier constat : la future PAC continuera de marcher sur une seule jambe, en refusant sa transformation en politique alimentaire et agricole commune. L’entrée de la qualité de l’alimentation des Européens est encore une fois évacuée. Il n’y a ainsi aucun objectif concret pour faire progresser globalement la qualité des productions européennes et agir efficacement pour la réduction des inégalités devant l’alimentation. Ce devrait pourtant être une des premières clés d’entrée : quelle alimentation voulons-nous pour les 500 millions d’Européens en 2030 ? Continuons-nous dans une logique de ségrégation marchande devant l’accès aux productions sous signe de qualité

  PAC des petits pas ? PAC à durée limitée ? PAC insuffisante ? PAC mi-chèvre mi-chou ? PAC à géométrie variable ? PAC trop souple ? Chacun la qualifiera comme il la voit... et au regard de ses intérêts. Ce qui est certain, c’est que cette drôle de PAC laisse beaucoup trop de sujets fondamentaux en suspens.


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