Depuis
l’annonce de la conclusion de l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne
et les pays du MERCOSUR (dont le contenu
intégral n’est toujours pas public), les réactions se multiplient à juste
titre pour dénoncer un accord « climaticide » et totalement contraire
à toute ambition environnementale ou de souveraineté alimentaire. Beaucoup font
cependant encore mine de découvrir que le Président de la République, Emmanuel
Macron, soutient totalement cet accord, au même titre que le CETA avec le
Canada, alors qu’il n’a jamais dévié d’un pouce dans sa volonté d’ouverture des
marchés.
L’essentiel
du débat tourne bien entendu sur les mesures douanières les plus fragrantes que
constituent les 99.000 tonnes de bœuf supplémentaires par an à taux
préférentiel qui rentreront sur le marché européen, les 180.000 tonnes de quota
supplémentaire pour le sucre, ou les 100.000 tonnes supplémentaires pour les
volailles. Des scandales en soi, quand on connaît l’impact à venir sur les
petits producteurs européens, étranglés par 30 années de libéralisation des
marchés et d’abandon des outils de régulation de la PAC. Le secteur agricole a
bien constitué la principale monnaie d’échange dans la conclusion de cet
accord, alors que nous savons combien les importations de produits agricoles sont aujourd’hui au cœur de la déstructuration des agricultures familiales, et
exercent un puissant levier pour empêcher la construction de modèles agro-écologiques.
L’appel à un « Lamy »
Pour essayer
d’apaiser quelques vents contraires suite à cette annonce, quoi de mieux que de
convoquer Pascal Lamy, ancien commissaire européen pour le commerce de 1999 à
2004 et directeur général de l’OMC de 2005 à 2013, pour faire le service
après-vente ? Il fait en effet partie de ceux qui face au mur des désastres
sociaux et environnementaux produits par le libre-échange, ont toujours fait
valoir qu’il fallait accélérer, toujours accélérer. Plus le mur climatique s’avance,
plus il défend le commerce mondial. Plus les échanges internationaux sont
inégaux et creusent les injustices sociales, plus il plaide pour leur
développement. Plus les grands groupes capitalistes transnationaux s’accaparent
la production des richesses mondiales, plus il fait croire au mythe de la
régulation des échanges.
Pascal Lamy,
c’est le toxico de « l’avantage comparatif », le pape de la concurrence libre et non-faussé. Mâtiné
du soupçon de justice sociale que lui conférait son appartenance politique, c’est
l’expert toute catégorie auquel on fait appel : dès qu’un accord de libre-échange
est conclu, il revient sur les ondes pour jouer son meilleur rôle. Le rôle de
sa vie. Celui d’un VRP de luxe du capital qui a eu pour charge de convaincre des
vertus du néolibéralisme tous les pays et les opinions publiques du monde. Et peu
importe d’ailleurs qu’il raconte désormais tout et n’importe quoi, pourvu qu’il
y est l’ivresse de défendre l’indéfendable.
On ne
résistera pas ici à revenir tout de même sur ce florilège d’hypocrisies, de
tautologies et
de mensonges concentrés dans les 20 minutes de direct qui lui ont été accordées par France Inter ce 1er juillet :
« Cet
accord comporte un chapitre environnemental (que l’on ne connaît
toujours pas ndlr) qui arrime le Brésil
dans l’accord de Paris. » L’accord de Paris n’étant pas contraignant,
on mesure la solidité de la corde !
« Cet accord va empêcher Jair Bosolnaro de
déforester l’Amazonie ». Rien que çà.
« Sur ces questions de contrôle sanitaire et phytosanitaire,
je rappelle que ne rentrent sur le marché européen que des produits agricoles,
bruts ou transformés, qui correspondent aux normes et aux standards européens…
dès lors effectivement qu’il y a la capacité de contrôle (qui n’existe
pas ndlr) ». Les agriculteurs
ont dû s’étrangler en entendant çà. Moi personnellement, je voyais déjà bien la
scène : le corps expéditionnaire fictif de la Commission européenne sur le
terrain, allant vérifier de port en port l’absence d’hormones dans les
carcasses de bœufs, de produits phytosanitaires interdits dans les cargos de
soja, ou mieux, en train de prouver sur les terres argentines et brésiliennes que
la déforestation n’avait pas eu lieu… le tout en menaçant d’une sortie de l’accord
de libre-échange ! Entendre de telles idioties pourrait faire rire, s’il n’était
question de l’avenir de notre planète, de nos enfants et de notre alimentation.
« Il faut que les Européens continuent à se
battre pour un monde qui est géré, organisé, de manière coopérative ».
C’est bien connu, les commissaires européens sont de farouches partisans de la
coopération à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Europe.
Mais la
force de Lamy, c’est de poursuivre sans broncher, même face aux auditeurs qui
lui rétorquent qu’il ne vit pas dans le même monde : « çà n’est pas l’ouverture des marchés qui est
responsable de la crise écologique, c’est le capitalisme de marché, qui est un
système désormais globalisé. » Le « capitalisme de marché »,
il fallait l’inventer celle-là quand même.
Cachez ces
multinationales que l’on ne saurait voir
Mais l’essentiel
n’est pas dans ce que Pascal Lamy dit, mais peut-être dans ce qu’il ne dit pas (pas plus que les journalistes ou auditeurs
qui l’interrogent) : l’omniprésence des grands groupes capitalistes transnationaux
dans cet accord et le rôle moteur qu’ils ont joué dans la poursuite des négociations.
Depuis le
début de la relance des négociations, avez-vous une seule fois entendu parler
de JBS, principale
multinationale brésilienne de l’agroalimentaire, qui représente environ un
quart du marché mondial du bœuf, mais aussi solidement implantée suite à des
rachats successifs sur le marché mondial du poulet et du porc ? Le nom de Cargill ou de Bunge, principales
multinationales étasuniennes[i] qui détruisent la forêt
amazonienne et argentine pour étendre sans cesse les monocultures intensives de
soja génétiquement modifié, si utiles au groupe précédent, et globalement à l’engraissement
industriel de bovins partout dans le monde, a-t-il seulement été évoqué ?
Avez-vous
de la même façon entendu cités les noms des champions allemands de l’automobile,
les Daimler, Volkswagen ou BMW ? Ou des Suisses, Glencore (commerce de
matières premières) ou Nestlé ? Des champions de la chimie et des produits
pharmaceutiques BASF et Bayer ? De nos Total, Carrefour ou Sanofi...?
Jamais.
Pourtant, la
réalité, c’est que dans le grand monopoly mondial des multinationales, il faut
pouvoir continuer à faire croître ses profits en vampirisant tous les marchés
et en étendant le champ de ses consommateurs. Ce sont bien ces groupes
capitalistes transnationaux (incluant bien entendu les groupes financiers et
bancaires), qui sont les premiers acteurs de la conclusion de ces accords. Ils
sont dans le même temps les premiers responsables des émissions de CO2 comme
des désastres environnementaux. Mais ils ne sont jamais cités. A croire qu’ils
ne disposent d’aucun lobbyiste à Bruxelles, Paris, Berlin, Montevideo, Brasília
ou Buenos Aires.
[i] Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir Pascal Lamy revenir
systématiquement sur le Président des Etats-Unis, Donald Trump, alors que les
intérêts financiers de plusieurs transnationales à base américaine sont au cœur
des enjeux de l’accord UE-MERCOSUR.
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