Notre pays dispose de toutes les capacités pour assurer une gestion publique, démocratisée et partagée de l’eau
Ces dernières années, les conflits liés à la gestion de la ressource en eau et aux projets d’aménagement hydrauliques, portés notamment par le milieu agricole, se sont accentués, entraînant parfois des réactions violentes avec des victimes à déplorer. Cette montée des tensions autour de ce bien commun qu’est l’eau pourrait être largement évitée si la puissance publique faisait résolument le choix de garantir une gestion démocratique, publique et partagée de la ressource en anticipant et en s’adaptant aux effets du changement climatique, tout en prévenant les conflits d’usages.
Moins d’eau, plus d’évapotranspiration, une variabilité accrue
Nous le savons, les effets du réchauffement climatique en France affecteront fortement la ressource en eau et sa disponibilité pour les écosystèmes comme pour l’ensemble des usages humains. La baisse de la ressource en eau renouvelable dans la métropole aurait atteint 14 % sur la période 2002-2018 par rapport à 1990-2001 selon une étude publiée récemment par le ministère chargé de la transition écologique. Les prospectives des modèles climatiques nationaux et régionalisés produits par Météo-France ou disponibles sur le portail « DRIAS Les futurs du climat », convergent pour soulever à la fois une trajectoire très probable de forte hausse des températures moyennes, particulièrement marquée en allant vers le Sud-Est du pays, une forte augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été, une augmentation des épisodes de sécheresse dans une large partie sud du pays, mais pouvant s’étendre à l’ensemble du pays, ainsi qu’un renforcement du taux de précipitations extrêmes sur une large part du territoire avec une forte variabilité selon les zones concernées, comme nous venons d’ailleurs de le vivre cet hiver et ce printemps.
Ces scénarios tablent tous sur une baisse de la pluviométrie dans une large partie Sud de la France, avec une plus grande variabilité des régimes pluviométriques sur de nombreux bassins versants et un assèchement de l’amont des bassins notamment sur le Massif-Central.
Par ailleurs, la croissance de l’évapotranspiration des végétaux conduira inévitablement à renforcer les effets des sécheresses et vagues de chaleur, notamment sur les débits des cours d’eau, avec, dans le même temps, des besoins plus importants pour sécuriser certains usages comme l’eau potable pour la consommation humaine et l’eau d’irrigation pour les cultures.
Pour un Etat qui anticipe et soutient sur le long terme
La dégradation de la disponibilité des ressources superficielles et des nappes phréatiques risque ainsi de conduire à accentuer les tensions et les conflits d’usages dans les prochaines années. Pour y faire face, l’Etat ne peut se contenter de rester dans une position d’observateur, à l’écart des grandes orientations qui s’imposent aujourd’hui pour construire le modèle de gestion de l’eau du XXIème siècle. Car, il faut le dire, ces dernières années, le pouvoir central, arc-bouté sur ses obsessions libérales de resserrement budgétaire, a largement délaissé les politiques d’aménagement global du territoire et d’accompagnement durable des acteurs territoriaux de l’eau. Il s’est contenté le plus souvent de renvoyer la responsabilité des arbitrages autour de certains usages de la ressource aux gestionnaires de bassin.
Pire encore, il a régulièrement tenté de maquiller les insuffisances de ses politiques publiques, soit derrière l’idée que le cadre règlementaire européen était trop exigeant (directive-cadre sur l’eau, directive nitrates, directive sur les normes de qualité environnementale, directive sur l’eau potable…), soit derrière l’idée que l’argent de l’eau, c’est-à-dire celui collecté par les Agences de l’Eau, était trop important, voir mal géré. Que dire ainsi du total contresens qui a guidé le pouvoir ces dernières années quand il s’est agi de piller une part des moyens d’action des Agences de l’Eau pour boucler le budget de l’Etat… en redécouvrant subitement qu’il y avait besoin de moyens supplémentaires pour pallier aux insuffisances d’investissement dans le renouvellement des réseaux d’eau potable sur de nombreux territoires ? Que dire de la politique de fond qui a consisté à asphyxier progressivement les communes par les baisses de dotations, ce qui a globalement contraint leurs investissements, tout en venant aujourd’hui leur taper sur les doigts ?
Ce glissement politique national, perdant toute cohérence de long terme, avec une gestion au coup par coup en réponse à l’actualité de conflits d’usage locaux ou sur certains bassins versants est tout sauf une bonne politique. Ces choix libéraux ont considérablement retardé la définition d’un cadre global d’action prenant la mesure des défis que pose le dérèglement climatique au niveau national. Ce n’est pas la pertinence de la gestion de l’eau par bassin qui doit être remise en cause. C’est l’abandon progressif d’une politique nationale de l’eau et des milieux aquatiques, avec ses outils de planification, ses objectifs et ses moyens financiers spécifiques à mobiliser pour accompagner tous les acteurs de l’eau vers une gestion la plus rationnelle et efficace possible.
Les conflits portant actuellement sur la création de centaines de projets de stockage comme les « bassines » sont assez symptomatiques de cette orientation politique particulièrement inquiétante et inefficace. Ainsi, ces ouvrages, portés directement par des exploitants agricoles ou groupement d’exploitants agricoles, révèlent une forme de « laisser-faire » de l’Etat vers une gestion privée, voire individualisée, d’une partie de la ressource, faute de fixer un cadre clair et des priorités de gestion notamment pour le secteur agricole en lien avec la nécessaire transformation des modes de production.
Notre pays dispose parfaitement des capacités d’anticiper et de prévoir les moyens nécessaires à la gestion équilibrée de ses ressources en eau pour répondre à nos besoins fondamentaux dans les décennies à venir. Pour cela, l’Etat doit redéfinir son rôle dans la gestion de l’eau. En commençant par reposer clairement les principes fondamentaux d’une gestion publique et démocratisée de ce bien commun qu’est l’eau, visant à satisfaire l’ensemble des usages prioritaires pour le pays, tout en répondant aux exigences de bon état et de bon fonctionnement écologique des hydrosystèmes à long terme.
Un tel engagement politique implique un travail de planification très exigeant, fondé non seulement sur les grandes prospectives climatiques et hydrologiques, sur leurs conséquences pour le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi sur l’évolution de nos besoins, secteur par secteur, dans un contexte de moins bonne disponibilité de la ressource au cours de l’année. Il pose donc directement la nécessité d’utiliser les leviers les plus efficaces et disponibles pour limiter certains usages.
C’est sur cette base de travail que doivent se dégager les trajectoires d’accompagnement financier indispensables dans la gestion du grand cycle comme du petit cycle de l’eau. C’est la seule voie qui puisse permettre de retrouver de la cohérence et de la sérénité pour permettre aux acteurs territoriaux de bassin de disposer d’une vision claire et de long terme. Mais soyons clairs, comme pour tous les grands défis que pose le changement climatique, en matière de gestion de l’eau, des investissements et des soutiens publics très importants seront nécessaires de façon durable. L’austérité budgétaire imposée ces dernières années a été de très loin le plus mauvais des arbitrages de court terme.
Des priorités qui se dégagent déjà à l’échelle des bassins versants
A l’échelle des 7 grands bassins versants, les Agences de l’eau et les comités de bassin conduisent leurs travaux afin de renouveler les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour les prochaines années, et permettre ensuite leur déclinaison locale à travers les SAGE. Qu’il s’agisse des études Hydrologie, Milieux, Usages et Climat (HMUC) ou de prospectives de long terme, avec pour horizon 2050, voire 2100, la pire des politiques serait de faire semblant de regarder ailleurs !
Car les principaux scénarios scientifiques soulèvent de très grandes inquiétudes quant à l’évolution et la disponibilité future de la ressource pour répondre aux différents usages sur la majorité des grands bassins versants. Ces différents travaux conduiront bien évidemment à présenter des mesures d’adaptation aux changements climatiques à l’échelle des bassins versants. Mais, encore faut-il, répétons-le, que l’action des comités de bassin et des Agences soit durablement soutenue par un Etat qui accompagne vraiment !
Parmi les chantiers prioritaires que nous devons nous fixer figure l’indispensable maîtrise des consommations pour les usages actuels. Il faut d’abord financer massivement toutes les actions les plus urgentes, qui ont été empêchées ou retardées souvent par la contrainte financière comme l’investissement sur le renouvellement des réseaux d’eau et l’amélioration de la protection des captages de toutes les collectivités et syndicats intercommunaux, en complément des financements de projets déjà existants (DETR, plan Eau). A titre d’exemple, on estime qu’il faudrait consacrer 3 milliards d’euros par an d’investissements supplémentaires rien que pour remettre en état les réseaux d’eau potable. Les engagements récents du « plan eau » du Gouvernement sont sur ce point très insuffisants, en proposant d’augmenter les moyens des Agences de l’eau de 475 millions d’euros par an… après les avoir ponctionnés ces dernières années. De la même façon, les montants des ouvertures de crédit à long terme de la SFIL et de la Banque des Territoires demeurent insuffisants et mériteraient de bénéficier de taux d'intérêt nuls ou négatifs.
De la même façon, pour le secteur agricole, consubstantiel au maintien de la souveraineté alimentaire du pays, l’essentiel des efforts d’adaptation au changement climatique passe par l’amélioration de la capacité de rétention des sols en eau au cours de l’année. Cela suppose de mettre - enfin ! - en œuvre le grand « plan sols » indispensable à toute transformation agroécologique réelle, afin de faire des sols les premiers réservoirs d’eau (et de carbone) qui seront indispensables pour maintenir durablement des capacités de production suffisantes demain. Non seulement la France a manqué de fixer un cap clair dans cette direction lors du dernier renouvellement de la PAC à travers les outils de soutien direct inscrits dans son plan stratégique national (PSN), mais le pouvoir en place a entretenu l’illusion que le statu-quo était possible en pariant sur une multiplication des solutions de stockage à petite échelle qu’ils soient individuels ou semi-collectifs. Que de retard pris alors que la généralisation du non-labour sur des systèmes à rotation longue, l’implantation de couverts végétaux permanents sur toutes les zones de grande culture, la plantation de centaines de milliers de kilomètres supplémentaires de haies, le déploiement de systèmes d’agroforesterie productifs et l’accompagnement vers une irrigation plus économe pour les productions les plus dépendantes de l’eau devraient constituer le cœur de la stratégie agricole nationale pour le XXIème siècle.
Politique de stockage de l’eau : éviter tout découpage par usage, optimiser la gestion des ouvrages existants, prévoir les éventuels grands ouvrages complémentaires de demain
En complément de ces priorités pour l’action publique en matière de gestion de l’eau, la politique de stockage d’une partie de la ressource afin de répondre aux usages prioritaires identifiés sur les différents bassins à long terme ne peut être définie sous le seul prisme de la hausse de la demande en eau de certains usages. L’Etat ne peut ainsi continuer à renvoyer au seul échelon territorial ou aux Préfets, la responsabilité d’arbitrer sur les projets privés de stockage par usage, comme il l’a fait ces dernières années, au risque d’aboutir à une gestion de plus en plus incohérente, inefficace, et source de conflits d’usages récurrents.
Si l’optimisation et la coordination de la gestion des nombreux ouvrages existants peut permettre d’assurer une meilleure gestion à l’échelle des bassins, il faut également prendre la mesure du besoin d’anticiper et de prévoir les aménagements complémentaires qui pourraient être indispensables d’ici le milieu du siècle pour sécuriser des objectifs prioritaires, notamment pour l’approvisionnement en eau potable. Encore faut-il bien rappeler au préalable les principes politiques qui nous paraissent indépassables : garantie de maîtrise publique et démocratique, gestion transparente et multi-usages des grands outils de stockage, priorisation et répartition équilibrée de la ressource prélevée, maintien du bon état et des fonctionnalités écologiques des masses d’eau.
Sur cette base, nous disposons là-aussi de l’essentiel des connaissances et moyens scientifiques et techniques nécessaires pour porter ces éventuels grands projets d’aménagement pour la constitution de lacs réservoirs complémentaires qui ne peuvent être engagés sans mener préalablement les véritables prospectives de moyen et de long terme sur la base des différents scénarios climatiques, d’anticipation des besoins en eau, tenant compte des possibilités d’adaptation et des priorités fixées aux différents secteurs et de réduction des impacts environnementaux.
Il n’est pas inutile à ce sujet de voir combien les grands projets d’aménagement conduits dans les années 1970-1980, avec notamment les quatre grands lacs réservoirs de l’amont du bassin de la Seine (grands lacs de Seine), ou le réservoir de Naussac à l’amont de l’Allier, démontrent aujourd’hui leur intérêt avec une gestion multi-usages, confiée à des établissements publics territoriaux de bassin, qui pilotent en permanence les niveaux de stockage et de soutiens pour satisfaire les priorités d’usage. Même si ces ouvrages doivent déjà faire face à une moindre disponibilité annuelle de la ressource en eau par rapport aux années 1980-1990, le retour d’expérience sur leur gestion démontre aujourd’hui à la fois leur grande utilité pour la satisfaction des principaux besoins, mais également la bonne maîtrise de leur impact environnemental, souvent en lien avec des systèmes hydrauliques vertueux, comme des implantations en dérivation des principaux cours d’eau, et grâce à un remplissage progressif par forts débits, ainsi que des soutiens d’étiage strictement régulés.
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