La crise épidémique que nous vivons agit
comme un révélateur. Révélateur de la faillite des injonctions libérales visant
à couper systématiquement dans nos dépenses publiques, nos services publics, et
en particulier nos services de santé. Révélateur aussi des risques inhérents à
notre dépendance agricole, et de la fragilité de nos systèmes d’approvisionnement
alimentaire. Ce contexte inédit peut-il servir à reprendre les bonnes
directions politiques ? C’est ce que beaucoup attendent et demandent. Nous
en faisons partie.
Mais c’est aussi ce que défendent
depuis 15 jours les plus zélés promoteurs de la concurrence libre et non-faussée, de la
compétitivité, des accords de libre-échange, du tout marché et les premiers de
la cordée des dividendes. Ils se découvrent tous de soudaines passions pour la
souveraineté française ou européenne. Certains se baladent même de département
en département pour aller débusquer les dernières usines de produits de
première nécessité.
Le locataire de l’Elysée tient comme
il se doit la tête de la cordée des hypocrites. Le bon soldat politique du
capitalisme français prônait, il y a 12 ans déjà, la dérégulation la plus
complète de tous les secteurs économiques comme rapporteur de la Commission
Attali « pour la libération de la
croissance française ». L’agriculture française et notre indépendance
alimentaire en ont fait lourdement les frais. Le sinistre rapport Macron - Attali,
rendu le 23 janvier 2008, préconisait de
« restaurer
complètement la liberté des prix et de l’installation de tous les acteurs de la
distribution » (Décision fondamentale n°13, décisions 202 à 204).
Ce fut chose faite quelques mois plus tard dans la loi de modernisation de l’économie, dite « LME »,
avec l’instauration de la liberté
de négociation des prix entre les centrales d'achat des grandes surfaces et
leurs fournisseurs, paraphée par une certaine Christine Lagarde. La
grande distribution n’avait jamais eu de si grand cadeau pour alimeter ses marges en boostant pendant plus d'une décennie ses importations de produits alimentaires à bas coût. Mais qui s’en souvient ?
Si je dis
cela, c’est qu’il ne faut se faire aucune illusion. En matière agricole et alimentaire, ceux
qui nous rejoignent subitement aujourd’hui, qui nous feraient presque des « papouilles »
pour garantir des prix minimum d’achat garantis (si si !),
sont bien les mêmes qui nous accusaient hier d’être de dangereux dirigistes,
des crypto-bolchéviques menaçant le pays d’une économie agricole « administrée ». Depuis quelques jours, ils vont si loin dans leurs
actes de contrition que cela prête à croire à une véritable transsubstantiation idéologique !
Mais le vernis n’est que de
façade. Dans quelques semaines, ils feront tous machine arrière sous la
pression de ceux qui tiennent les cordons de la bourse… et les vraies rênes du
pouvoir. Une fois le plus dur de la crise sanitaire passée, la cordée des
actionnaires de l’agroalimentaire et de la grande distribution va se remettre
en marche. Les Nestlé, Danone, Carrefour, Crédit Agricole, Sodexo, Lactalis, Leclerc
et consorts, champions toutes catégories du dividende, de l’évasion et de l’optimisation
fiscales, vont vite remettre de l’ordre dans les têtes des brebis libérales égarées.
Les passions soudaines
pour la souveraineté alimentaire et le secours aux producteurs s’envoleront
aussi vite qu’elles sont arrivées.
Nos deux
champions nationaux de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin,
n’ont, eux, pas abandonné aussi rapidement la bonne vieille école : ce qu’il
nous faut, c’est un « nouveau capitalisme » (Bruno Le Maire sur BFM TV le 30 mars 2020) ! Et faire preuve
d’un peu de générosité et de charité avec « un grand appel à la solidarité
nationale » avec l’ouverture « d’un plateforme de dons » (Gérald Darmanin, le 30 mars 2020 lui aussisic) ! Tout est dit. Ces deux-là ont au moins le mérite de ne jamais faire
semblant d’être autre chose que ce qu’ils sont. Dans quelques semaines, une
fois le plus dur de la crise sanitaire passée, ils continueront d’être en
première ligne de la guerre néolibérale. Ils nous proposeront une « nouvelle
compétitivité », une « nouvelle concurrence »… et de nouveaux sacrifices
budgétaires imposés à la société comme au secteur agricole.
On me
répliquera sans doute que je suis un peu dur. Qu’il faut voir ce qui sortira de
bon de la crise, notamment pour notre agriculture et notre alimentation. Je
répondrai simplement par une série de questions ouvertes : le Président de
la République a-t-il fait quelque proposition que ce soit dans ces
interminables discours pour enrayer le massacre de 30 années de
compétitivité-prix imposée à l’agriculture ? A-t-il envisagé d’encadrer
les prix d’achat et de vente dans la grande distribution avec l’application
de coefficients multiplicateurs ? A t’il prévu d’augmenter fortement le SMIC,
et tous les salaires, pour permettre à chacun de se fournir en produits
français et sous signe de qualité ou d’origine ?
Les
ministres de l’Agriculture et de l’Economie ont-ils dans leur tiroir le moindre
décret pour interdire dès demain sur les étals les importations qui entrent en
concurrence directe avec les viandes de nos éleveurs, les fruits et légumes de
nos producteurs ? Ont-ils ordonné l’interdiction du versement de dividendes
aux transnationales de l’agroalimentaire, de la distribution ou du secteur
bancaire et assurantiel lié à l’agriculture ? Ont-ils ces derniers jours mieux
chuchoté à l’oreille de la Présidente de la Commission européenne, l’ultralibérale
Ursula Von der Leyen, en lui parlant de l’impérieuse nécessité de stopper
immédiatement tous les accords de libre-échange ratifiés et en cours de
ratification qui priveront les Européens et les Français de toute souveraineté
alimentaire ? Sont-ils disposés à élaborer un régime public et solidaire
efficace contre les risques en agriculture incluant les nouveaux risques
sanitaires et épidémiologiques ?
Non, l’importance
stratégique de notre souveraineté agricole et alimentaire n’est pas l’affaire
des néolibéraux. La relocalisation ? Le partage de la valeur ajoutée ?
La déconcentration du capital au service d’une agriculture familiale,
transmissible et riche en emplois ? La transformation de nos productions ?
Vous n’y pensez pas ! Çà ne rentre pas dans les modèles financiers ces
trucs là ! Et puis, de toute façon, les faux-nez du « Green New Deal »
de la Commission de Bruxelles et de la « verte » communication du
Palais de l’Elysée seront là pour faire oublier les grandes orientations qui
sont prises. L‘unique objectif, c’est la baisse du budget de la PAC et des
moyens consacrés à l’agriculture et à l’alimentation de 500 millions
d’Européens. L’unique objectif, c’est de laisser les agriculteurs « s’ajuster »
à des marchés ouverts aux quatre vents. Quoi qu’il en coûte en matière de dépendance
agricole et alimentaire.
Rien à redire. Il faudrait que cet article soit popularisé au maximum, ce que nous ne savons pas toujours faire.
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