Que peut donc bien cacher le conseil de défense énergétique ?

  Le Président de la République convoque ce vendredi 2 septembre 2022 un nouveau conseil de défenseconsacré spécialement à l’approvisionnement en gaz et en électricité de notre pays. Il fait ainsi le choix de « la grande muette », sur un sujet qui concerne ouvertement l’avenir de chaque Français. Si la communication gouvernementale s’empresse de justifier ce conclave par le besoin d’anticipation au regard des risques liés à la période hivernale, on est tout de même en droit de se demander si ce huis-clos n’est pas avant tout là pour détourner du débat public les causes profondes de la situation.

 Une première remarque tient aux difficultés d’appropriation des connaissances scientifiques sur la problématique « énergie-climat » dans la prise de décision au plus haut sommet de l’Etat. Il semble qu’on ne prenne toujours pas le temps de travailler sur le fond, puisque l’on vient de demander en urgence à la climatologue Valérie Masson-Delmotte de faire une « formation express » aux ministres… à la veille du conseil de défense ! Mieux vaut tard que jamais. A moins qu’il ne s’agisse une fois encore d’une opération de communication.

 Mais la convocation de ce conseil semble surtout confirmer un constat, particulièrement inquiétant : sur la problématique centrale de notre avenir énergétique (et donc climatique), le chef de l’Etat et ses ministres ont depuis toujours navigué à vue, sans autre vision que celle de satisfaire les intérêts financiers. En effet, depuis une dizaine d’années qu’Emmanuel Macron est aux responsabilités, il n’a jamais changé de cap. Les errements stratégiques et les zigzags permanents, notamment vis-à-vis des entreprises historiques ENGIE (ex-GDF) et EDF, ne sont que les témoins du dogme néolibéral appliqué sans retenue à notre système énergétique. En promouvant en permanence les décisions financières au détriment de toute vision industrielle et de long terme, le pouvoir a considérablement amplifié notre impuissance et attenté à la sécurité énergétique du pays.

 On ne fait pas la politique de l’énergie « à la corbeille », aurait peut-être dit De Gaulle. C’est pourtant ce que fait le pouvoir depuis plus de 20 ans. Depuis l’ouverture des marchés européens, un système affairiste s’est substitué progressivement à une planification assise sur le service public unifié de l’énergie hérité des nationalisations de 1946. Mais à force de toujours pousser les logiques de profit, sans perspective concrète ni analyse géopolitique, on se brûle les ailes. Alors quand les tensions sur les ressources fossiles en déclin s’exacerbent, qu’un conflit éclate et qu’un Gazprom décide d’arrêter subitement son approvisionnement en gaz, on se retrouve fort dépourvu… Et on ne pourra s’empêcher de penser que pour préparer les lendemains qui déchantent, on n’a rien trouvé de mieux à l’Elysée que l’entre-soi. Prière de ne pas déranger, surtout lorsqu’il s’agit de cacher le fiasco de tant d’années de « capitalisme énergétique », fait de concurrence artificielle et de politique du dividende.

 30 années de soumission (bien volontaire) des principaux responsables politiques à la tête du pays au déchaînement néolibéral ont ainsi considérablement accéléré le déclassement mondial de la France sur toutes les filières industrielles de l’énergie sur fond de pillage de la rente électrique et gazière (lire à ce sujet certaines parties de l’ouvrage de Marc Endeweld,L’emprise. La France sous influence.) Certes le choix délibéré d’affaiblir le pilier que formait EDF-GDF, avec le sous-investissement chronique dans la construction de nouveaux outils de production et la maintenance de l'existant, avec la perte des savoir-faire de ses agents, ne date pas d’hier. Mais Emmanuel Macron a depuis 2014 encore amplifié ce sabordage français par une multiplication de choix totalement désastreux pour notre avenir et notre sécurité énergétiques : livrant des bijoux de famille aux appétits des banques d’affaires (Alstom-General Electric) ; accompagnant toutes les dérives stratégiques et financières des groupes pétroliers et gaziers (Engie et Total en tête) ; perpétuant le siphonage d’EDF aux profits des autres « fournisseurs » factices d’électricité avec l’ARENH issu de la sinistre loi NOME ; entérinant la fermeture de la centrale de Fessenheim ; stoppant une partie de la recherche publique dans la filière nucléaire avec l’arrêt brutal du programme ASTRID sur les réacteurs de quatrième génération et la fermeture du cycle combustible… Le tableau complet des méfaits énergétiques - et donc aussi climatiques - du pouvoir sur les 10 dernières années mériterait vraiment d’être méticuleusement établi, analysé et connu de nos concitoyens.  Mais chut… secret-défense. L’alcôve élyséenne semble bien plus pratique pour parler de ces choses-là en bonne compagnie. 

 L’autre face cachée du bilan énergétique tient sans doute aussi dans la volonté de ne pas dévoiler l’ampleur des dégâts de la politique européenne de l’énergie depuis Maastricht. Le fait est qu’en 30 ans, la libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz place  l’Europe et les Européens au bord du précipice.  3 « paquets énergie » successifs, et un dernier « paquet climat-énergie » de droit européen de la concurrence, ont conduit à un système totalement dément, qui ne permet ni de répondre aux besoins essentiels de nos concitoyens à des prix stables et raisonnables, ni de relever le défi climatique avec des productions décarbonées et des politiques publiques efficaces pour maîtriser efficacement lademande d’énergie. Pire, ce système européen, appuyant la dérive de la politique énergétique allemande avec l’indexation des prix de l’électricité sur le gaz et le développement des centrales thermiques au gaz pour compenser les ENRi est une machine à spéculation. Ajoutez à cela, la fuite en avant dans les délocalisations de filières vers la Chine ou le suivisme béat des agents de la rente « verte »… et tout nous conduit à la situation désastreuse actuelle.

 Il n’est donc vraiment pas certain que le conseil de défense serve utilement à réinterroger les vraies causes de cette impuissance énergétique et à poser les bases des révolutions politiques nécessaires pour relever les défis qui sont devant nous. L’Elysée étant passée maître dans l’art du contournement des problèmes au service de la garantie des profits, les mesurettes qui sortiront du conseil de défense sont d’ailleurs déjà sur la table : la présentation de scénarios d’effacement de court terme pour faire mine d’agir (avec la possibilité de coupures d'alimentation) ; le renforcement des importations de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) notamment avec de nouveaux contrats sur le gaz de schiste américain pour garantir l’approvisionnement à moyen terme ; le maintien du soutien massif aux « opérateurs » privés sur le dos d’EDF avec le nouvel ARENH pour l’électricité ; la communication politique sur le « bouclier tarifaire » et les mesures d’aide aux ménages sans aucune remise en cause de la concurrence ruineuse des « fournisseurs » alternatifs et de leurs pratiques commerciales mensongères… Les pompiers-pyromanes de la Commission européenne font d'ailleurs aussi de la communication, la Présidente Von der Layen, se disant prête à lancer une "réforme structurelle du marché de l'électricité"... mais dans l'optique de maintenir les logiques de marché. 

 Non, il y a peu de chances que la fumée blanche du conseil de défense consiste à parler du retour de la maîtrise publique et sociale des filières de l’électricité et du gaz depuis la production jusqu’à la distribution. Pourtant, la sortie de l'électricité et du gaz du marché est bien la seule voie responsable pour sortir des dépendances énergétiques et de l’inaction climatique. Bien sûr, cela impliquerait d’affronter violemment le capital et de lui imposer un changement total de paradigme. 

 Imaginons un instant le lancement d’un grand débat public et parlementaire dans le pays qui porterait sur des engagements prioritaires pour la sécurité et souveraineté  :

-  la reconstruction d’un système électrique et gazier fondé sur un service public unifié (en commençant par EDF et ENGIE renationalisés) ; 

-  la planification effective et de long terme vers un mix totalement décarboné qui poserait les contenus d’une reconstruction de l'intégralité des filières industrielles de l’énergie (depuis la recherche, en passant par la production, le transport et la distribution), en commençant par notre filière nucléaire si stratégique, et impliquant directement les agents du secteur dotés d’un statut, de droits d’intervention et de protections communes ;

- la garantie d’accès pour tous (ménages, entreprises et collectivités) à l'électricité et au gaz avec des tarifs strictement réglementés et encadrés.

    En somme, l’élan d’un nouveau pacte énergétique avec le pays à l’image de celui de 1946 porté par Marcel Paul. N’est-ce pas cela qui devrait être le cœur de l’enjeu « énergie-climat » d’aujourd’hui ? N’est-ce pas cela qui devrait animer le débat énergétique d’aujourd’hui ? N’est-ce pas cette initiative qu’un pouvoir politique pleinement conscient du défi climatique et énergétique de cette première moitié de siècle devrait lancer, plutôt que de se rapetisser comme il le fait dans le secret-défense ?




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