Alimentaire mon cher Roussel !


On a toujours bien du mal à comprendre pourquoi le candidat communiste Fabien Roussel a été si vivement pris à partie par certains cette semaine, après avoir simplement déclaré que chacun devait pouvoir manger « sain et à sa faim » et qu’il défendait la « gastronomie française » pour tous. Quelles que soient les motivations de ceux qui se sont prêtés à cette polémique, le fait est que notre alimentation, son avenir, et le lien direct qu’elle entretient avec notre modèle agricole, nos agriculteurs et nos territoires, nous préoccupe effectivement.  Et l’élection présidentielle doit permettre de mettre en débat des propositions fortes au service du "mieux manger".

Pourquoi ? D’abord parce que notre pays compte près de 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, qu’un enfant sur 5 vit au sein d’une famille pauvre, que 7 millions de personnes vivent en France dans une situation de précarité alimentaire, et qu’au moins 5,5 millions d’entre eux ont fait des démarches régulières pour accéder à l’aide alimentaire. Avec la crise sanitaire, les files d’attente de nos étudiants pour accéder à des dons alimentaires, est venu s’ajouter à tous les foyers en grande précarité, au premier rang desquels les familles monoparentales, travailleurs précaires et retraités pauvres, qui trouvent malheureusement dans l’aide alimentaire le dernier levier pour tenter d’assurer leurs dépenses contraintes et incompressibles de logement, d’énergie ou de transport.

Pour nous, manger sain et à sa faim, doit donc être un droit fondamental et une priorité politique de la France. Ce droit fondamental doit bénéficier d’une politique alimentaire nationale, avec un ministère plein et des moyens dédiés, dont l’objectif  sera de garantir l’accès, chaque jour, à 67 millions de Français, à une alimentation de qualité, équilibrée et nutritive. C’est une grande ambition. Mais notre pays est assez riche et fort de son agriculture pour y répondre. Beaucoup de nos concitoyens et de nos élus municipaux attendent un tel engagement de l’Etat.

Nous pensons ainsi que la première pierre de ce droit consiste à mettre en place dès 2022 un « Fonds alimentaire national » doté de 10 milliards d’euros annuels. Parce que la dispersion des outils et les petits soutiens actuels consacrés à la politique de l’alimentation à travers les actions du ministère des solidarités, n’est pas à la hauteur des besoins et des transformations nécessaires de nos modes alimentaires. Une des priorités de ce Fonds devra être de donner à nos collectivités de vrais moyens pour la restauration scolaire. Pas un enfant de France ne doit être privé d’au moins un repas équilibré par jour. C’est pourquoi nous proposons que ce Fonds alimentaire national, permette de généraliser l’accès au repas à 1 euro dans toutes nos cantines scolaires à partir de produits français, sous signes officiels de qualité et d’origine ou biologiques. En complément d’une adaptation spécifique du code des marchés publics, ce sera un levier puissant pour assurer des débouchés au travail de nos agriculteurs et à toutes à nos productions nationales et locales de qualité. Car pour acheter des produits bruts, les transformer dans les cuisines de la restauration scolaire, et les servir à chacun de nos enfants, nos collectivités, communes, départements, régions, ont besoin de ce soutien financier d’ampleur pour leurs moyens de fonctionnement et leurs investissements matériels.  

Par ailleurs, Fabien Roussel est-il à côté de la plaque lorsqu’il demande à ce que tous puissent accéder et consommer de bons produits et une bonne cuisine ? Sa formulation très directe avait à mon sens le mérite d’être aussi très claire politiquement. On ne peut plus uniquement aujourd’hui se féliciter de disposer d’une offre de produits de qualité, essentiellement destinés aux ménages les plus aisés de notre pays, voire aux consommateurs étrangers à travers nos exportations. Autrement dit, car c’est cela la réalité objective du pays, la fameuse « montée en gamme » et la segmentation croissante des marchés de l’alimentation, avec les bons produits réservés à une minorité de la population, n’est pas une politique alimentaire acceptable. Il faut notamment proposer un vrai engagement social, aujourd’hui quasiment inexistant, sur la destination de nos productions nationales et locales de qualité et de celles sous signe d’identification de la qualité et d’origine (SIQO). Oui, il est juste socialement de vouloir offrir la possibilité à chacun de manger régulièrement ces produits sous IGP, AOP, AB ou label rouge tandis qu’ils sont aujourd’hui prioritairement achetés par les consommateurs français ou étrangers les plus aisés. Oui, il faut soutenir l’exigence que des moyens soient donnés aux ménages et aux enfants les plus modestes d’accéder très régulièrement à ces produits. Et oui Fabien Roussel a parfaitement raison de dire que tous doivent pouvoir goûter régulièrement à un de nos 48 fromages ou produits laitiers sous appellation d’origine, un de nos 75 vins sous AOP ouIGP, un de nos 43 légumes, viandes ou fruits sous AOP !

Ajoutons que partout sur le territoire, des élus municipaux et intercommunaux s’engagent, des associations ou des organisations de producteurs agricoles portent des initiatives très concrètes de relocalisation des productions, de manger local et de développement des circuits courts et très directs. Il faut pouvoir leur donner de nouveaux moyens pour agir. Ce Fonds alimentaire national doit pouvoir y participer, notamment à travers un soutien plus fort aux projets alimentaires territoriaux (PAT). Et au-delà de l’engagement budgétaire de  l’Etat, nous proposons de créer une taxe sur les revenus financiers des multinationales de l’agroalimentaire, de la distribution et de la restauration hors-domicile affectée directement à ce fonds. Ces grands groupes transnationaux, qui exercent une pression permanente sur les prix agricoles et placent des milliards d’euros dans les paradis fiscaux doivent mettre la main au portefeuille pour la cantine de nos enfants !

La deuxième proposition, c’est la mobilisation d’un programme d’urgence alimentaire, en complément du Fonds alimentaire européen, le FEAD, et des mesures existantes en matière de lutte contre la précarité alimentaire. On ne construit pas son avenir avec le ventre vide. Les demandes d’aide alimentaire ont explosé depuis le début de la pandémie et ne cessent de croître ces dernières années. Nous devons travailler avec l’ensemble des associations caritatives reconnues, le Secours populaire français, les Restos du cœur, la Croix-Rouge française et de solidarité, les Banques alimentaires, mais aussi tous les CCAS de nos collectivités, le réseau des épiceries solidaires et d’associations locales d’entraide, qui ont tous vu exploser les demandes, sur les moyens nécessaires et les contours de ce fonds. C’est une urgence. Il faut réunir l’ensemble des acteurs pour agir immédiatement, en y associant les organisations professionnelles et représentatives agricoles pour ne laisser personne au bord de la route, sur le chemin de la misère.

Mais il faut aussi voir au-delà. Nous avons besoin de refonder très profondément la Politique agricole commune. Et il faut transformer la PAC en PAAC, une politique agricole ET alimentaire commune. Nous la demandons depuis des années cette PAAC. Il faut passer aux actes.   Après des décennies d’immobilisme, la France doit prendre l’initiative d’une conférence européenne sur la souveraineté alimentaire. Il faut une nouvelle conférence de Stresa, comme en 1958, lors de l’acte fondateur de la PAC. Une conférence fondatrice sur la souveraineté alimentaire pour poser les bases d’une nouvelle Politique Agricole et Alimentaire Commune. Comme en 1958, il y a des intérêts divergents en Europe sur la question alimentaire, il y a des désaccords. Il faut pousser vraiment. Ne pas faire semblant.  Pousser pour construire une politique alimentaire commune, sans quoi, c’est la concurrence du tous contre tous qui gagnera, et on laissera les ventres de 450 millions d’Européens se débrouiller seuls avec leur porte-monnaie. La fondation d’une politique alimentaire ne devra d’ailleurs surtout pas se limiter à savoir si l’Union européenne sera en capacité d’anticiper et de s’organiser pour s’assurer de disposer de suffisamment de nourriture pour les Européens. Le débat que nous défendons, c’est celui de savoir si les Français et les Européens seront en capacité de construire démocratiquement leurs choix agricoles et alimentaires permettant d’assurer durablement l’essentiel des productions sur le territoire national et européen, tout en respectant pleinement les choix des autres pays et régions du monde. Nous changeons là radicalement de perspective politique d’avec la version « allégée » de la seule « sécurité alimentaire », soluble dans l’ouverture des marchés, et qui ne s’intéresse jamais vraiment aux modèles de production et à la coopération internationale, pour basculer sur l’enjeu fondamental de la « souveraineté alimentaire ». 

Il ne faut donc pas penser alimentation d’un côté, et agriculture de l’autre. Il faut penser agriculture ET alimentation. De notre terre à notre assiette, des ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation à la politique agricole et alimentaire de l’Union Européenne, les choix politiques qui seront faits dans les années à venir seront très importants pour notre alimentation et notre qualité de vie. Et il est plus que légitime et nécessaire de le planter dans la campagne. N’en déplaise à certains, merci Fabien Roussel !



Commentaires

  1. Merci Julien.
    Je reste convaincu, pour bien connaître la fin du cycle, que proposer une filière de transformation et de distribution publique serait une corde de plus à l’arc. Taxer l’industrie agroalimentaire et la grande distribution (qui n’est pas si transnationale que cela - un bel oligopole français pour le coup) ne peut être la seule solution. Cela ne résout pas les problèmes de partage de la valeur dans ces sociétés capitalistes : un modèle public permettra de définir un niveau de salaire de référence pour les salariés du secteur. La transparence sur le partage des marges de la filière y gagnera aussi.
    Fraternellement,
    Antoine

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire