Avec la forte hausse des prix de
l’énergie et ses conséquences immédiates sur les conditions de vie des
Français, quelques fissures sont venues lézarder le terrible « story
telling » présidentiel mené par les relais médiatiques du capitalisme
français. Ces petites brèches salutaires ont permis de remettre dans le débat
public (pendant un instant) la problématique centrale de nos usages de
l’énergie et l’indispensable révolution climatique à opérer. Certains ont ainsi
subitement redécouvert le contenu réel de notre « assiette »
énergétique nationale : notre dépendance aux énergies fossiles, pétrole et
gaz, qui représentaient en France en 2018 plus de 67 % de notre consommationd’énergie finale ! L’activisme climatique de façade de certains s’en est
même trouvé assez bouleversé. Cachez tout ce pétrole et ce gaz que l’on ne
saurait voir…
Ouvrir
les bons débats, porter une politique énergie-climat globale et cohérente
Quand une porte est entrouverte, il
faut savoir y mettre le pied. Poser les bonnes questions. Partir des réalités
scientifiques et techniques d’aujourd’hui. Des trajectoires de consommation les
plus probables[1].
Pour tenter de tracer un chemin énergétique qui réponde à nos objectifs
climatiques, tout en assurant également les impératifs d’accès à l’énergie pour
tous et de justice sociale, avec des prix contenus. Le candidat communiste Fabien Roussel porte ce discours de cohérence et de clarté dont nous avons
tant besoin : dénonçant l’inacceptable racket sur le budget des ménages,
résultat direct de la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité
opérée depuis 25 ans au seul profit de groupes privés ; portant (seul) des
propositions sans ambiguïté sur le besoin de décarboner tous nos usages de
l’énergie, à partir d’une électrification avec une base pilotable associant le nucléaire
et nos capacités hydrauliques, tout en favorisant un développement et une
intégration maîtrisée des renouvelables non-pilotables ; soutenant (seul) la
nécessité de (re)construction d’un service public unifié de l’énergie, depuis ses
filières industrielles de production très en amont, jusqu’à la distribution aux
usagers particuliers et professionnels en aval ; soutenant dans le même
temps l’exigence indépassable de maîtrise de nos consommations d’énergie avec les
grands plans d’investissement publics qui s’imposent, en faveur des
transports peu polluants (relance du ferroviaire, plan vélo, gratuité des
transports publics urbains…) et de la rénovation thermique à grande échelle des
logements et bâtiments. C’est un programme « de raison » énergétique
et climatique. Une raison qui semble malheureusement bien loin d’être partagée
par tous…
Ne
pas effacer l’historique…
Vous l’aurez aussi sans doute
remarqué, dès que les prix flambent, les pompiers-pyromanes sont de retour. Le
Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire en tête - et tous ceux
qui défendaient hier sans retenue la mise en concurrence et la casse du service
public de l’énergie - se muent soudain en défenseurs de la régulation et du
retour des tarifs règlementés ! Le candidat Fabien Roussel a bien raison
de rappeler régulièrement ce que certains tentent systématiquement de mettre
sous le tapis poussiéreux du temps politique : nous touchons les conséquences de 30 années de libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité.
Bientôt 30 années précisément depuis le référendum de 1992 sur le
traité de Maastricht, cet acte fondateur du déchaînement idéologique néolibéral
européen, dont les communistes étaient bien les seuls à l’époque à gauche à dénoncer
les risques majeurs et les dérives auxquelles nous faisons face aujourd’hui.
Car, depuis le traité de Maastricht, ce sont « 3
paquets énergie » (+ 1 paquet climat-énergie) successifs de droit européen de
la concurrence qui ont conduit à un système aberrant, qui ne permet ni de
répondre aux besoins essentiels de nos concitoyens à des prix stables et
raisonnables, ni de relever le défi climatique avec des productions décarbonées
et des politiques publiques efficaces pour maîtriser la demande d’énergie. Ce
système européen est devenu un « machine à faire flamber les
prix » pour soutenir artificiellement les profits d’« opérateurs »
privés, souvent uniquement commerciaux et sans capacités réelles de production.
Cette aberration se transforme aujourd’hui
en impuissance climatique. Car tandis que les contraintes et les
pressions sur la disponibilité des ressources fossiles se sont accrues (et vont
continuer de croître), le contresens énergétique néolibéral conduit à des
abandons industriels en cascade et/ou à des arbitrages énergétiques particulièrement
dangereux[2], dont le seul but est de
satisfaire aux appétits des banques d’affaires et des grands groupes pétroliers
et gaziers, désormais en quête d’une meilleure part de rente électrique. La
prétendue « concurrence réelle et
équitable au bénéfice des consommateurs », si chère à Jean Tirole,
s’est muée en simple système affairiste, dont l’explosion des profits de Total ou
d’Engie en France, ou les derniers résultats du « tournant énergétique »
allemand[3] sont des exemples factuels.
On pourrait se demander comment un secteur aussi stratégique et essentiel à la
vie ne fait (plus) pas l’objet d’une politique publique européenne et nationale
de long terme… si la domination du capital ne conduisait à la cécité sur notre
horizon climatique.
Reconquérir
la maîtrise sociale et publique de la production jusqu’à la distribution
de l’énergie
La première urgence politique, c’est
donc de savoir si l’on dit stop ou encore. Les résultats de la dernière COP 26
en témoignent : de l’aveu même de nombreux participants institutionnels, des
dizaines d’heures de discussions ont été consacrées aux outils de marché carbone
et aux « compensations carbone » entre Etats. Il faudrait être
aveugle pour ne pas voir que, COP après COP, l’approfondissement des outils de
marché est le sujet qui préempte désormais quasiment tout l’espace des
négociations. Ce serait être tout aussi aveugle que de ne pas faire le constat du
caractère exponentiel des ressources intellectuelles mobilisées par le capital dans
ses stratégies d’intégration et de digestion des enjeux environnementaux et climatiques
afin de ne pas remettre en cause ses logiques de rentabilité et de profit. Sans
mauvais jeu de mots, le travail visible de ce que certains aiment à appeler les
« lobbyistes » lors des conférences des parties n’est que la partie
extrêmement limitée de l’iceberg des travaux des agents au service du
capitalisme mondialisé consacrés aux marchés carbone, à la finance carbone, aux
échanges de carbone… Un monumental travail de sape de l’embryon de droit
international climatique, pourtant encore sans contraintes réelles. En quelque
sorte, plus les avancées scientifiques et travaux du GIEC ciblent avec justesse
le cœur du problème, c’est-à-dire la question de nos consommations d’énergies
fossiles, plus le capital cherche à botter en touche avec la création d’outils
de marché sans efficacité. Car pointer les exigences profondes de
transformation de nos modes de production, de contenu de nos productions, d’utilité
sociale de nos productions, c’est directement toucher aux logiques capitalistes
elles-mêmes. Les communistes seraient-ils donc de si piètres écologistes lorsqu’ils
affirment que la première des urgences consiste à extirper le secteur de l’énergie
et les enjeux climatiques du bourbier dans lequel les forces économiques
dominantes entendent nous enfermer un peu plus chaque jour ? Je ne le
crois pas.
Mais pour cela, il ne faut pas entrer dans le débat présidentiel sur l’énergie et le climat seulement par le petit bout de la lorgnette de telle ou telle aide, de telle ou telle mesure sectorielle ou de telle ou telle technologie miracle. Il faut reposer le débat stratégique et structurel du secteur énergétique et de sa maîtrise sociale et publique pour le siècle qui vient. Qui le fera ? Ceux qui à droite n’ont qu’en tête la poursuite de l’ouverture des marchés de l’énergie et le transfert de rentes toujours plus importantes vers les grands groupes ? Ceux qui, désormais à gauche, s’accommodent ou défendent ouvertement la croissance de l’utilisation du gaz dans le mix électrique pour compenser l’intermittence des renouvelables non-pilotables, au seul profit des géants pétroliers et gaziers qui sont bien contents de trouver sur ce terrain de nouveaux alliés pour contribuer à faire flamber les prix de vente et leurs marges ?
La mesure du défi climatique et de
ses conséquences pour nos sociétés doit conduire le plus grand nombre à faire
sienne dans cette campagne présidentielle l’idée que l’énergie est une chose
trop importante pour être laissée plus longtemps aux arbitrages et au pilotage
du capitalisme financier. Les communistes ont sur ce point encore un peu d’expérience.
Mesure-t-on ce qu’a été, et ce qu’a permis, le tournant énergétique de 1946, avec
Marcel Paul, ministre communiste de la production industrielle, qui arrache les
secteurs électrique et gazier des mains du capital au profit des usagers et de
notre industrie avec la
nationalisation du secteur et la création d'EDF-GDF ? Pour répondre à l’immense
défi climatique et énergétique de ce début de siècle, c’est au moins le même
niveau d’exigence politique et sociale que ce qui a été fait après la guerre
pour permettre le redressement du pays et rendre accessible à tous l’énergie
qui s’impose. Et effectivement, sur l’échiquier politique actuel, il n’y a que
le candidat Fabien Roussel qui l’affirme sans ambiguïté en appelant très
clairement à la maîtrise publique et sociale de l’ensemble de la chaîne
énergétique : depuis les moyens de production jusqu’à la distribution.
[1] Les études prospectives sur ces trajectoires
font l’objet d’un intense travail scientifique et d’expertise, dont les conclusions
retenues dans le débat public sont souvent déformées par rapport à la
complexité et aux préventions méthodologiques initiales de leurs auteurs. Les 6
principaux scénarios travaillés par RTE dans son travail de prospective en sont
un exemple frappant avec ses différentes hypothèses et variables techniques, économiques et de consommation. Le « possible » est tout à fait dépendant
des hypothèses de consommation d’énergie que l’on retient, donc des
trajectoires de baisse de la demande d’énergie (et donc des politiques et
moyens publics permettant cette baisse) et de la décarbonation des principaux
usages de l’énergie que l’on retrouve dans les secteurs clés des transports, des
bâtiments et de l’industrie.
[2]
Cf. Le fiasco de General Electric – Alstom en France.
[3]
Ce n’est pas seulement la capacité réelle à limiter ses émissions de CO2 au
regard des montants d’investissements engagés depuis une vingtaine d’années qui
doivent nous interroger sur la politique énergétique allemande, mais aussi l’exceptionnelle
mise à contribution des ménages allemands par un prix élevé du KWh pour
subventionner le maintien des prix de l’électricité aux entreprises, ainsi que
la situation de dépendance sans précédent à laquelle elle conduit vis-à-vis des
marchés et des approvisionnements gaziers.
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