Dégelons le débat sur la prévention et la gestion des risques en agriculture

 Et si « la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIème siècle », comme l’a qualifiée le Ministre de l’Agriculture le 13 avril sur la chaîne LCP, n’était qu’un avant-goût des contraintes climatiques nouvelles qui pèseront demain sur l’ensemble de nos filières agricoles ?

 C’est cette question qui doit orienter la réflexion politique sur les choix d’avenir en matière de prévention et de gestion des risques.  

 Car, effectivement, les dégâts provoqués par ce gel printanier sont colossaux : la production annuelle d’une grande partie des filières de l’arboriculture, de la viticulture, du maraîchage, et de certaines grandes cultures, est sévèrement touchée, quand elle n’est parfois pas totalement anéantie. Surtout, le caractère « exceptionnel » de ce gel tient au fait qu’il a touché quasiment l’ensemble du territoire national. 

 Mais le côté le plus inquiétant de la situation porte sur la probabilité de survenu du phénomène dans les années à venir : avec des démarrages de végétation toujours plus précoces, en mars, voire février, les gels destructeurs de début de printemps ont toutes les chances de devenir la règle. Et comme les sécheresses, le gel passera du statut de simple aléa, peu prévisible et rare, à celui de risque récurrent. 

 Face à la croissance des risques climatiques, mais aussi sanitaires (maladies à transmission vectorielle, zoonoses…) et environnementaux (perte de biodiversité, espèces envahissantes, ravageurs, pollutions…) en agriculture, les plus libéraux vont continuer de défendre un système assurantiel individuel privé. Le directeur général de la Fédération Française de l’Assurance s’est empressé de le répéter dans la presse : « Après cet épisode de gel, nous comprenons évidemment le désarroi des agriculteurs. Pour autant ce n’est pas l’assurance qui est en cause, mais bien la non-assurance. L’assurance, au contraire, c’est la solution ». Il oublie de dire que seulement 20 % des surfaces de cultures sont couvertes par un contrat « multirisques climatiques récolte ». Il oublie de dire que ces contrats ne concernent presque aucune structure agricole familiale. Il oublie de dire que cette offre individuelle ne vit que sous perfusion croissante de fonds publics, puisque près de 120 millions d’euros de la PAC (développement rural) sont consacrés pour subventionner à hauteur de 65 % du montant des contrats souscrits. 

 Le système a beau être inefficace, injuste et surtout totalement inadapté aux enjeux de notre siècle, la seule proposition efficace des assureurs serait de monter la subvention à 70 % ! On pourrait sourire face à un tel déni de réalité. Mais c’est au contraire un excellent révélateur de la bataille politique qui doit s’engager pour des réorientations politiques fondamentales. 

 La raison commande en effet, dès maintenant, de faire preuve d'anticipation, en mettant sur l’établi les bases d'un projet de prévention, d'adaptation et d'assurance face aux risques climatiques, sanitaires et environnementaux du XXIème siècle.   C’est le cœur de la proposition de loi  déposée en avril 2020 par André Chassaigne et les député-e-s communistes : définir le cadre législatif de ce régime public, solidaire et mutualisé, couvrant de façon universelle tous les agriculteurs, toutes les agricultures. Un régime avec des moyens financiers spécifiques et adaptés, reprenant certes l’intégralité des contributions, fonds publics nationaux et européens déjà existants, mais prévoyant aussi de nouvelles ressources avec un prélèvement sur les revenus financiers des groupes de l'agroalimentaire, de la distribution, de l’industrie des phytosanitaires, des intrants et du machinisme, mais aussi des secteurs bancaires et assurantiels qui spéculent sur les matières premières agricoles. Et surtout, surtout, un régime dont la gestion serait confiée majoritairement aux représentants professionnels agricoles eux-mêmes aux côtés de l’Etat, de façon à ce que les premiers bénéficiaires puissent définir et adapter directement les critères et les choix de gestion pour assurer une couverture la plus importante possible des pertes subies, tout en jouant un véritable rôle de prévention et d’adaptation des systèmes agricoles aux risques encourus.

 Face au péril climatique qui s'avance, de grands choix s'imposent pour garantir demain le contenu de notre assiette et l'avenir de celles et ceux qui la remplisse. Les seules mesures d’urgence ou exceptionnelles ne construisent pas une politique publique agricole. La soumission aux intérêts privés encore moins. Mettons ces propositions de fond dans le débat public et dans les mains des agriculteurs dans les mois qui viennent. C’est comme cela que nous redonnerons  du sens à la politique.  




Commentaires