Politique Climat/Energie : business as usual sur fond de dépolitisation

 Décembre 2020 est venu confirmer la stratégie politique poursuivie par le pouvoir dans le domaine climatique : premier acte avec la fumée blanche du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020, et son objectif « de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre dans l'UE d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 » ; second acte avec le requiem Macronien devant la Convention citoyenne pour le climat (4 heures durant !). 

 D’un côté, l’artillerie lourde des engagements européens titanesques. De l’autre, la vertu miraculeuse de l’accouchement constitutionnel. 

 Mais que cache donc cet œcuménisme climatique ? 

 Rien ne saurait résister à une petite plongée dans ces deux moments qui resteront gravés à jamais dans l’histoire de la lutte contre le changement climatique. (SIC)


Envolées européennes et requiem Macronien… le règne de la communication politique

 Commençons donc par les grandes envolées européennes. Il suffit pour nous éclairer de lire le compte-rendu du Conseil européen sur le site du conseil (https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-22-2020-INIT/fr/pdf) : 

« Les dirigeants de l'UE entendent relever leurs ambitions en matière de climat d'une manière qui :

stimulera une croissance économique durable ;

créera des emplois ;

sera bénéfique aux citoyens de l'UE sur les plans de la santé et de l'environnement ;

contribuera à la compétitivité mondiale à long terme de l'économie de l'UE en promouvant l'innovation verte.

On frémit déjà devant une telle ambition, « structurellement ajustée » au totem de la compétitivité mondiale ! 

Retenez votre souffle, la suite arrive :

« Les dirigeants de l'UE ont souligné qu'il importait de mobiliser les finances publiques et les capitaux privés, et ont rappelé l'objectif global consistant à consacrer à l'action pour le climat au moins 30 % du montant total des dépenses au titre du CFP et de Next Generation EU (comprendre budget européen 2021-2027 et plan de relance européen : ndlr).

Et maintenant, le Conseil lance les invitations à sa très chère Commission :

"Pour encourager l'élaboration de normes globales communes en matière de finance verte, le Conseil européen a invité la Commission à présenter une proposition législative relative à une norme de l'UE en matière d'obligations vertes d'ici juin 2021 au plus tard.

Le Conseil européen a invité la Commission à évaluer la manière dont tous les secteurs économiques peuvent contribuer au mieux à la réalisation de l'objectif fixé pour 2030 et à présenter les propositions nécessaires, accompagnées d'un examen approfondi des incidences environnementales, économiques et sociales au niveau des États membres. 

La Commission est invitée à envisager, en particulier:

d'explorer les moyens de renforcer le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE) ;

de proposer des mesures permettant aux industries à forte intensité énergétique de mettre au point et de déployer des technologies innovantes neutres pour le climat tout en conservant leur compétitivité industrielle ;

de proposer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières afin de garantir l'intégrité environnementale des politiques de l'UE et d'éviter les fuites de carbone d'une manière qui soit compatible avec les règles de l'OMC ;

de répondre aux préoccupations exprimées en ce qui concerne la répartition des efforts, l'équité et le rapport coût/efficacité, la sylviculture et l'utilisation des terres, ainsi que la hausse des émissions et le recul des puits dans ces secteurs en raison des effets néfastes du changement climatique.

 Çà en jette non le relevé de décisions du Conseil européen sur le volet climatique ! Tout de suite, les générations futures se sentent rassurées. En fait, on pourrait résumer l’élégant compte-rendu en une formule : « Braves gens, c’est dans les vieilles gamelles néolibérales que l’on fait la meilleure soupe climatique ! » Attendez sereinement le Green Deal et le paquet législatif européen pour juin 2021, et tout ira pour le mieux. 

 Poursuivons donc notre exégèse avec le comité de direction de la Convention citoyenne pour le climat. (Sic) 


 Même tonalité professorale. 4 heures de délayage avec Ministres associés. Enterrement de première classe de l’essentiel des propositions. Finalisation du travail d’instrumentalisation pour servir le seul objectif visé : un petit coup politique en annonçant le principe d’un référendum pour l’inscription dans l’article 1er de la Constitution de la lutte contre le changement climatique. 

 La présentation, prévue pour fin janvier 2021 du projet de loi Climat issu notamment des travaux de la Convention citoyenne, aura sans aucun doute une ambition démesurée. Moins de deux ans après le vote de la dernière loi Energie et Climat en 2019, on en vient tout de même à se poser une  question : à quoi sert cet empilement de vœux pieux législatifs si ce n’est à occuper le terrain ? 

 Pas de doute, nous venons de vivre en décembre 2020 un tournant dans l’ambition climatique de la France et de l’UE. 


Dépolitisation des politiques « climat/énergie »

 Mais il ne faut surtout pas s’arrêter là. Car derrière ce « story-telling » climatique du pouvoir se cache un intense travail de sape. Il prend, selon moi, deux orientations fondamentales :

- la première est de passer au tamis du prêt-à-penser de la pensée dominante toutes les avancées et recommandations issues des sciences « du climat ». Prendre ce qui nous intéresse, laisser de côté ce qui pose véritablement problème.

- la seconde, qui résulte de la première, est de poursuivre une "politique de dépolitisation" en matière climatique.  Faire croire que tout peut changer en restant sur les mêmes dogmes économiques et sociétaux (financiarisation, marchés, compétition internationale, effets spontanés de progrès technologiques…). 

 Il en va ainsi des orientations énergétiques fondamentales issues des travaux du GIEC avec ses recommandations pour contenir l’emballement climatique et ses effets sur les sociétés. Toute une partie de la réflexion (de milliers de scientifiques) du GIEC (présentées notamment à la page 14 du résumé à l’intention des décideurs  du dernier rapport 2019 + 1,5°C si si) est écartée. 


 Ainsi, la priorité à donner à la baisse de la demande finale d’énergie, à la baisse drastique de nos consommations de charbon, de pétrole et de gaz ne fait jamais l’objet d’une planification européenne ou nationale sérieuse et précise. On se contente d’aligner des objectifs de baisse (- 55 % d’émissions de GES en 2035, neutralité carbone en 2050…), de vagues formulations sur la « finance verte » ou l’investissement, sur le « déploiement de technologies innovantes neutres pour le climat »… 

 En réalité, il n’y a rien de sérieux dans tout cela, rien de scientifique, rien de concret. Le jour où la Commission présentera un tableau, avec ses priorités d’action sur le pétrole, le charbon et le gaz, une projection pays par pays, année par année, secteur d’émissions par secteur d’émissions, avec les financements publics à dégager, les coopérations publiques et relocalisations indispensables… alors on pourra commencer à croire à sa sincérité climatique. 


 Planification et reprise de pouvoir sur le capital : les indispensables de la révolution climatique

 Mais c’est sans doute oublier un peu vite que cela porte en effet un nom : planification. Gros mot parmi les gros mots pour la Commission et le Conseil (comme pour tout penseur libéral), c’est pourtant la seule voie crédible en matière climatique. Tout le reste n’est que communication politique et laisser-faire. 

 Car comment appeler le fait de se fixer des objectifs sans prévoir les outils et les moyens que l’on met en face pour y parvenir, sinon de la simple communication politique ?

 Ce « business as usual climatique » n’est pas anodin. Il participe pleinement de la stratégie de dépolitisation de l’enjeu climatique à l’œuvre depuis 20 ans, c’est-à-dire de digestion de la contrainte climatique en maintenant tous les conservatismes néolibéraux. Or, les mécanismes physiques du climat n’ont que faire de la communication politique et des dogmes. Sans changement de braquet, sans renversement dans les logiques et les buts de production et de consommation, sans reprise politique du pouvoir sur le capital, l’échec est assuré. 

 Ainsi, comme je ne crois ni aux contes de fées climatiques, ni à la transsubstantiation magique du dioxyde de carbone en oxygène (ou mieux en hydrogène, beaucoup plus à la mode), si l’on veut être crédible pour parvenir à 55 % de baisse de nos émissions en seulement 10 ans, et a fortiori à la neutralité carbone en seulement 30 ans, alors il faut mettre en place une planification stratégique européenne inédite, secteur d’émissions par secteur d’émissions (production d’électricité décarbonée, transports, bâtiments, industrie, agriculture et forêt…), pays par pays (ou groupes de pays européens), avec des contraintes réglementaires drastiques applicables aux acteurs privés comme publics, des moyens de contrôles adaptés, des sanctions financières et pénales proportionnées à l’enjeu, des moyens financiers publics de très grande ampleur pour accompagner les ménages et les entreprises... donc des pouvoirs de contrôle des citoyens et des salariés depuis les entreprises, les banques jusqu’aux services publics !  

 Permettez-moi, malheureusement, de penser que ce n’est pas la voie qu’emprunte la Commission puisque sa seule obsession est d’approfondir et d’étendre les outils de marché appliqués au carbone ... dont nous voyons depuis 20 ans combien ils sont efficaces ! 


Cachez cette empreinte carbone que l’on ne saurait voir…

 Autre exemple remarquable : toute planification « climat/énergie » honnête et responsable suppose de prendre en compte toutes les émissions, les émissions intérieures, c’est-à-dire les émissions des ménages et activités économiques intérieures hors exportations, mais aussi les émissions associées à toutes nos importations. 

 Cet indicateur fondamental existe (pour la France), il s’appelle l’empreinte carbone. Mais il ne fait manifestement toujours pas partie du logiciel européen, pas plus que du logiciel national. 

 Pourquoi ? Que cacherait donc la mesure de notre empreinte carbone ? Soulèverait-elle des problèmes « idéologiques » et politiques ? Sic.


 Les données 1995 – 2018 sont disponibles ci-dessus. Elles sont catastrophiques puisque notre « empreinte carbone » progresse, faisant de la France une bien mauvaise élève climatique : et pour cause, c’est le triste résultat de 30 années de politiques libérales et de son cortège d’abandons et de délocalisations de nos productions industrielles !

 Le « découplage » entre la baisse (trop) lente de nos émissions intérieures et la hausse spectaculaire des émissions liées à nos importations est spectaculaire. Il appellerait à redéfinir illico une grande planification industrielle en fonction de l’empreinte de tous les grands produits consommés par les Français et Européens, depuis les flux de matières premières, en passant par les chaînes de la transformation manufacturée, le transport et la consommation finale... Bref, une politique de rupture à des années-lumière de la si confortable malhonnêteté politique qui consiste à ne pas lever le loup de notre empreinte carbone !

 Mais je suis sans doute un peu dur à ce sujet. Car le Gouvernement a bien commandé une étude méthodologique approfondie pour mieux déterminer l’empreinte carbone des produits importés en France au Haut conseil pour le climat. Un travail tout à fait intéressant (comme tous ceux du HCC) à retrouver ici : Rapport d’information du Haut Conseil pour le Climat d’octobre 2020 intitulé « Maîtriser l’empreinte carbone de la France ».) Pas sûr, malgré ses recommandations très « soft » et « liberal-friendly », que les recommandations du HCC ne finissent pas (comme les précédentes) à caler les meubles. 




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