Ou
comment Macron et son Gouvernement sont entièrement mobilisés pour dissimuler les immenses
gâchis du capital.
Il y a un an, pour
accompagner des vœux politiques, je reprenais une formule du célèbre écrivain
américain Jack London, dans son essai « Révolution » publié en 1905. London écrivait :
"La classe capitaliste, aveugle et
rapace, accaparant d'une manière démente, non seulement n'a pas tiré de sa
gestion le maximum, mais a eu les résultats les plus mauvais qu'on pouvait
obtenir. C'est une gestion prodigieusement ruineuse. On n'insistera jamais trop
sur ce point."
Aujourd’hui, comme il y a
plus d’un siècle, l’intense bataille culturelle et politique que mène la classe
dominante s’appuie sur un travail de dissimulation de la gestion
« prodigieusement ruineuse » du capitalisme contemporain. Une gestion
ruineuse pour l’humanité. Une gestion ruineuse pour sa survie même à travers la
crise écologique.
Si ce travail est si
méthodiquement mené, c’est parce qu’il est on ne peut plus utile pour maintenir
les conditions de la non-remise en cause du système lui-même. Seul ce travail
durable sur les consciences est en effet à même de défaire durablement la
conscience de classe, indispensable à l’évolution du rapport de force social et
politique. Seul ce travail de fond, du quotidien, est à même de défaire en
permanence toutes les constructions intellectuelles et politiques et les forces
sociales qui démontrent un peu plus chaque jour que l’argent est « une arme d’asservissement et de division des
individus ». Il me semble d’ailleurs que beaucoup de forces
progressistes et de gauche continuent de sous-estimer - ou de ne pas vouloir
voir - que les moyens d’adaptation et les outils mobilisés par le capital pour
tenir sa « marche en avant » vers une société néolibérale sont très
puissants.
Avec la montée de la
contestation sociale ces dernières semaines, nous voyons mieux que le pouvoir
et tous ses relais médiatiques sont mobilisés dans un très important effort de
diversion et de division. L’objectif : diluer et dissoudre toute
perspective de convergence des luttes sociales qui pourraient contester la
domination du capital et construire des rapports de force permettant d’imposer
d’autres orientations politiques que les choix libéraux.
Dans cette intense bataille
culturelle, le Président de la République est envoyé en mission par le cœur
battant de l’actionnariat du CAC 40, pour délivrer au pays ses « éléments
de langage », ce sens commun néolibéral préparé et travaillé minutieusement, et dont le contenu, dans les
conditions d’une mise en scène permanente, ne doit souffrir que d’un minimum de
prise critique.
J’aimerai m’appuyer rapidement
sur trois sujets fiscaux et économiques qui ont retenu mon attention, pour
illustrer le travail de fond conduit par le pouvoir.
Le
premier exemple porte sur l’analyse des « éléments de langage » très
travaillés des interventions du Président de la République sur le sujet de
l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Lorsque les premiers filtres de la
mise en scène des débats laissent volontairement filtrer cette problématique
plus critique, le Président de la République a endossé quasi-systématiquement en
réplique la même formule : « Vivions-nous
mieux lorsqu’il y avait encore l’ISF il y a quelques mois ? »,
« Avions-nous moins de SDF avec
l’ISF ? » Evidemment « non !
». Et de justifier ensuite que tout le travail de suppression de l’ISF a
consisté à permettre aux capitaux « stérilisés » par cet impôt de
solidarité, de se « libérer » pour servir l’investissement privé, plutôt
que de servir à alimenter le budget de l’Etat pour la redistribution ou des
politiques publiques… Logique implacable, sémantique de café du commerce qui
fait passer 4 milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux plus riches, de
véritable scandale fiscal à une mesure d’efficacité économique en faveur de
l’investissement et de l’emploi. Et quoi de plus difficile que de déminer la
critique sur l’évaluation des effets de cette mesure en faveur du capital,
puisqu’on sera bien incapable de retrouver la trace de ces milliards d’euros
dans les circuits financiers de l’investissement ?
Voilà des propos
symboliques et typiques des mécanismes de
diversion économique de la pensée dominante. Et s’il fallait encore se
convaincre du caractère profondément néolibéral de cette mesure, je vous laisse
prendre connaissance de ces deux figures
empruntées à l’économiste Thomas Piketty (que l’on ne pourra suspecter d’être
un dangereux communiste) sur la composition du patrimoine du 1 % des Français
les plus riches, dont 90 % du patrimoine est constitué d’actifs
financiers… exonérés totalement d’ISF, et des projections faites d’évolution des recettes de l’ISF jusqu'en 2022.
A voir aussi entre autres, la mise au point technique sur
l’ISF et sur le mythe de « la fuite des riches » de l’économiste Thomas Porcher de l’OFCE ici (non susceptible d'être un dangereux économiste communiste lui-aussi).
Le deuxième
exemple tient évidemment aux inégalités de distribution et d’accaparement des
richesses, dont les rapports réguliers d’ONG comme Oxfam ou Attac ont le mérite
de planter un décor mondial, européen, comme national toujours plus
insoutenable. Quand 26 multimilliardaires possèdent autant de richesse que la
moitié de l’humanité (3,5 milliards de personnes), encore est-il utile de
rappeler que parmi ces cannibales de la finance mondiale, tous coupables de
crimes fiscaux en bande organisée gigantesques, les grands patrons et
actionnaires Français font bien figures de premiers de cordée. Non seulement ils
accaparent les richesses produites par le travail des 26 millions d’actifs ayant
un emploi en France, mais le Président de la République, son Gouvernement et sa
majorité, sont leurs premiers complices en se mettant au service de leur impunité
fiscale : en abaissant les niveaux d’imposition sur le capital (ISF, Flat
Tax, ExitTax…) ; en empêchant clairement une véritable politique publique efficace
de lutte contre l’évasion fiscale (la dernière affaire Ghosn est à ce titre
assez symbolique) ; en multipliant les ponctions sur le budget de l’Etat
ou de la Sécurité sociale à destination des grands groupes qu’ils dirigent au
travers de dispositifs d’exonérations de cotisations ou de crédits d’impôt (CICE,
CIR… ).
Bien
entendu, le sujet n’attire pas l’appétit de la pensée complexe du Président de
la République dans ses « one man show ». Son credo : psalmodier
et psalmodier encore ses principes de « charité fiscale » :
« Il faut aller plus loin
pour mettre fin aux avantages indus et aux évasions fiscales » ; « il faut que le dirigeant d’une
entreprise française paye ses impôts en France et les grandes entreprises qui y
font des profits doivent y payer l’impôt. » Amen. C’est un peu comme
si lorsque vous passiez en caisse au supermarché sans payer la TVA, l’agent de sécurité
vous disez : « il faudrait payer un jour si vous le voulez la TVA
sur les produits que vous avez acheté ». Cependant le consommateur,
lui, ne bénéficie pas du « verrou de Bercy », et le bénéficiaire des
minimas sociaux qui aura omis de déclarer son petit changement de revenus ces 3
derniers mois, se verra lui traité de fraudeur et sommé de rendre l’indu !
Dernier et troisième exemple : le
sacro-saint mythe du « coût du travail », Cheval de Troie de la
diversion économique néolibérale. Il est rappelé partout, tout le temps… notamment
sur les plateaux télévisés. C’est l’argument massue pour sortir d’un mauvais
pli. Le « coût du travail » ? Eurêka ! Mais alors, toute
richesse créée ne proviendrait-elle plus du travail ? Nul besoin pourtant d’être
un admirateur de Marx pour comprendre que lorsque l’on laisse pendant des mois des
clous et des planches sans les toucher, il y a peu de chances de voir
spontanément une cabane apparaître. Peu de chances aussi que les moellons d’une
maison s’agglomèrent et se jointent tous seuls sans autre intervention pour la
construire ! Si nous convenons que toute richesse provient bien du travail
humain, on est en droit de s'étonner que les gâchis inhérents au non-travail ou plutôt
à la « privation » de travail et d’emploi de millions de femmes et
d’hommes ne fasse l’objet d’aucune analyse économique et sociale de la part du
pouvoir. A-t-on jamais vu un Ministre de l’Economie présenter une évaluation des
richesses qui auraient pu être créées par les 5,6 millions de personnes privées
d’emploi en France (inscrites à Pôle Emploi) ? Pourquoi ne s’intéresse-t-on
pas à évaluer combien de points de croissance seraient générés par le
plein-emploi ? Combien de recettes pour notre système de Sécurité Sociale et
le budget de l’Etat seraient ainsi recouvrées par les cotisations et l’impôt de
5 millions de travailleurs supplémentaires ? Combien de dépenses publiques
utiles à nos besoins du quotidien en santé, en éducation, en services publics
de proximité pourraient ainsi être immédiatement engagées ? Combien toute
cette créativité et cette expérience humaines pourraient profiter à notre
recherche, notre innovation, à nos savoirs, à notre culture ? Ou encore, pourquoi ne parle t-on jamais du "coût du capital", ces centaines de milliards versées chaque année aux actionnaires et en intérêts aux banques ?
Non cela
ce n’est pas de la bonne économie. Mieux vaut chercher à faire croire que le
capitalisme est la seule voie possible, la plus efficace pour l’humanité et la
planète. Cachez donc ces gâchis gigantesques que l’on ne saurait voir !
Julien Brugerolles
Julien Brugerolles
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