Oui,
la Vème République est à bout de souffle. L’hyper présidentialisation du régime
ne fait que renforcer, mandature après mandature, la course folle à la
personnalisation. Elle se traduit par l’adoption, par quasiment tous les
candidats ou candidats à la candidature, de pratiques électoralistes collant,
adoptant ou recyclant les codes les plus récents du marketing entrepreneurial, de
la prospection commerciale, de la mise en scène publicitaire ou du spectacle. Ainsi
depuis plus d’un an, chaque semaine voit son lot de nouveaux prétendants entrer
en piste dans le feuilleton de « la » Présidentielle, dont les médias
dominants (et les puissances d’argent) écrivent le scénario, et les candidats (avec
leurs stratégies de construction de forces organisées) construisent leur offre.
Bien
sûr, la théâtralisation des campagnes électorales ne date pas d’hier. Mais,
force est de constater, que la durée de celle-ci, comme les outils nouveaux mis
à disposition des « produits politiques », ont considérablement
renforcé la dérive démocratique de notre régime. Cette dérive est d’ailleurs
bien loin de tenir uniquement à la place nouvelle qu’occupent désormais les
Primaires ou mini-Primaires. Elle s’appuie beaucoup plus profondément sur un
renversement de l’analyse des rapports de force dans la société et des
capacités de mobilisation électorale lors de l’élection présidentielle.
Le
renversement de la « façon de voir » la société se traduit
concrètement par une forme d’ajustement de la « façon de faire » pour
des forces et des candidats qui ne conçoivent la politique que par le biais du
seul résultat électoral à un instant donné. Comment, dans ce nouveau cadre de
pensée, accepter de se priver des outils qui paraissent les plus « modernes »
et les plus adaptés au jeu de la séduction électorale ?
Cette
supposée recherche de « modernité » s’incarne bien entendu dans la
représentation des candidats en public, comme dans les formes du message
électoral à travers le programme ou les propositions, ou dans les formes du
soutien public ou privé que peuvent lui apporter les militants et électeurs. Dans
un même mouvement de régression démocratique, « la Présidentielle »
de la Vème République se transforme en élection « permanente », « omnisciente »,
avec des candidats eux-aussi « permanents » et « omniscients ».
Elle s’accompagne désormais d’un vaste marché de la communication politique, où
chacun vend ou achète ses méthodes marketing censées être les plus
opérationnelles, en adéquation avec le candidat et le moment politique. Bien
entendu, on se cherche des modèles de « savoir-faire » partout dans
le monde, à commencer par les Etats-Unis, là où le marché est depuis longtemps
florissant. Techniques de l’Internet, ciblage électoral, marketing relationnel,
mises en scène en public, outils publicitaires et d’identification, définition
des « punchlines », préparation des passages médias… la liste des
outils est aussi longue que les chargés de communication (qu’on se refile d’une
équipe à l’autre) et qui tentent de se faire une place au soleil. C’est ainsi
que les méthodes de marketing et de communication entrepreneuriale ont envahi
tous les espaces de campagne. Rajoutez à cela quelques experts de connivence
pour vous préparer votre programme et la boucle est bouclée…
Parmi
les exemples marquants de ces pratiques, on relèvera notamment l’adoption par plusieurs
candidats de nouvelles mises en scène dans leurs réunions publiques ou meetings,
héritées du monde de l’entreprise et du management, préalablement adoptées tant
par les évangélistes du marché que par les évangélistes religieux. Elles consistent
par exemple à placer désormais le sujet au cœur d’une arène, selon un placement
et un code vestimentaire adapté, à le faire se déplacer pour s’adresser à tous
et à chacun tout au long de la prise de parole (avec ou sans prompteur ;
c’est selon !). C’est ainsi que nos candidats se sont mis, bizarrement, à
tournicoter. Ils tournicotent, ils tournicotent, sous les yeux sans doute béats
d’admiration de ceux qui leur ont expliqué que c’était formidable de
tournicoter en rêvant à Steve Jobs ou à un prédicateur… Une autre mise en scène
régulièrement et historiquement servie (mais largement resservie ces derniers
jours), consiste à présenter un magnifique tableau de « diversité »
et de « jeunesse » à l’arrière du candidat qui s’exprime, sans doute
pour faire sentir la force de rassemblement !
L’autre
« mamelle » de ce vaste marché se tient bien entendu à l’écart des
jugements, tout en faisant office de
juge permanent de l’offre mise en rayon. Comme pour le domaine de la
consommation alimentaire, l’institut de sondage sonde ainsi son panel de
consommateurs politiques. Il a ses « produits du mois ou de
l’année », ses « produits d’appel » et « ses grandes
marques ». La commande éditoriale et politique lui assure une place
totalement démesurée, avec son cortège de biais et d’artefacts bien connus,
mais jamais remis en cause. Si l’opinion publique n’existe toujours pas, on
entend bien continuer à la créer et à la renouveler. Pour se rassurer. Pour
s’inventer des histoires, des parcours, des progressions et des échecs. Pour
répondre aux attentes des soutiens. Pour se chercher une prophétie, que l’on
espère « autoréalisatrice ».
Bien
entendu, comme non spécialiste de ce marché de la communication électorale, j’ignore
sans doute beaucoup des ficelles servies notamment en matière de travail des
relations media, sur les réseaux sociaux (dont les « followers »
s’accumulent comme les pains), ou à travers la recherche d’adhésion « relationnelle », voire
« fusionnelle » notamment sur Internet… Au-delà du nécessaire
dévoilement de ces véritables process de fabrication politique, l’essentiel
devrait résider dans l’analyse critique des objectifs poursuivis et/ou
déjà accomplis :
-
celui de rendre secondaire, en particulier en période de « Présidentielle »,
la nécessité d’un réengagement durable dans l’action et l’activité politique au
service de la transformation sociale ;
-
celui de relayer en arrière plan les vraies causes du désengagement actuel que
sont les difficultés de la vie quotidienne qui s’accroissent et l’imposition
directe ou indirecte, consciente ou inconsciente, d’une démocratie de basse
intensité et hyper-délégataire ;
-
celui d’instiller à la majeure partie de la population, un consentement
constant au renoncement, actant l’impossibilité de construire son propre avenir
et d’autres réponses politiques que celles servies par des professionnels.
Rejeter le plus loin possible l’implication concrète des électeurs tout en se
parant de modernité politique, voilà la ligne !
Cette
élection, de plus plus « corporate », prouve ainsi toute la
difficulté que nous avons de convaincre de sortir la politique du chemin
consumériste sur lequel surfent tout autant « les forces du marché de la
résignation » que les opportunismes politiques. Alors que le déploiement
des techniques visant à coller aux demandes de « consommation », aux
habitus d’électorats clairement ciblés, est aujourd’hui une évidence, notre
pratique militante de contact régulier, d’échange et de construction partagée
est très souvent remise en question, par ceux-là même à qui nous nous adressons
et qui devraient constituer le socle d’un renouveau de l’implication en faveur
d’alternatives aux politiques libérales et d’austérité. Il nous est ainsi très
souvent servi des réponses du type « on ne vous voit pas », « on
ne vous entend pas », « vous n’êtes pas assez visibles dans les
médias », alors même qu’il s’agit parfois de choix en positif dans notre
conception d’une citoyenneté active et de l’implication populaire. Nous le
vivons d’ailleurs aussi électoralement lorsque nous faisons le choix déterminé de
présenter des candidatures issues des catégories socioprofessionnelles
représentatives de la France, mais qui ne recueillent pas suffisamment de
suffrages de ceux-là mêmes qu’ils sont censés représenter.
Que
ceux qui affichent pleinement leur dévouement idéologique au libéralisme et au
management de l’entreprise accompagnent ces dérives dans la pratique politique
est une chose. Que ceux qui entendent y résister et les combattre enfourchent
les mêmes techniques, et parfois les mêmes objectifs, sans que l’on puisse en
critiquer lucidement l’intérêt et les conséquences pour ce combat, en est une
autre. Notre critique radicale et de longue date de l’élection présidentielle
aurait ainsi dû nous conduire à agir de façon déterminée sur les conditions de
notre action et de notre pratique politique dans cette campagne, pour servir à
une prise de conscience sur la nécessité de dépasser cette élection
profondément antidémocratique et contraire à l’intérêt des dominés. Aussi, les
rails sur lesquels se construit notre engagement dans « la Présidentielle »
de 2017 ne me semblent pas satisfaisants. Nous avons besoin d’actes
d’implication durable, de construction collective et partagée, de mise en
commun, pas d’un nouvel acte de consommation politique instantanée. Et il me
revient toujours cette citation bien connue de Bourdieu : « Pour changer la vie, il faudrait commencer
par changer la vie politique ».
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