2017 : l'hypermarché présidentiel

Oui, la Vème République est à bout de souffle. L’hyper présidentialisation du régime ne fait que renforcer, mandature après mandature, la course folle à la personnalisation. Elle se traduit par l’adoption, par quasiment tous les candidats ou candidats à la candidature, de pratiques électoralistes collant, adoptant ou recyclant les codes les plus récents du marketing entrepreneurial, de la prospection commerciale, de la mise en scène publicitaire ou du spectacle. Ainsi depuis plus d’un an, chaque semaine voit son lot de nouveaux prétendants entrer en piste dans le feuilleton de « la » Présidentielle, dont les médias dominants (et les puissances d’argent) écrivent le scénario, et les candidats (avec leurs stratégies de construction de forces organisées) construisent leur offre.
Bien sûr, la théâtralisation des campagnes électorales ne date pas d’hier. Mais, force est de constater, que la durée de celle-ci, comme les outils nouveaux mis à disposition des « produits politiques », ont considérablement renforcé la dérive démocratique de notre régime. Cette dérive est d’ailleurs bien loin de tenir uniquement à la place nouvelle qu’occupent désormais les Primaires ou mini-Primaires. Elle s’appuie beaucoup plus profondément sur un renversement de l’analyse des rapports de force dans la société et des capacités de mobilisation électorale lors de l’élection présidentielle.
Le renversement de la « façon de voir » la société se traduit concrètement par une forme d’ajustement de la « façon de faire » pour des forces et des candidats qui ne conçoivent la politique que par le biais du seul résultat électoral à un instant donné. Comment, dans ce nouveau cadre de pensée, accepter de se priver des outils qui paraissent les plus « modernes » et les plus adaptés au jeu de la séduction électorale ?

Cette supposée recherche de « modernité » s’incarne bien entendu dans la représentation des candidats en public, comme dans les formes du message électoral à travers le programme ou les propositions, ou dans les formes du soutien public ou privé que peuvent lui apporter les militants et électeurs. Dans un même mouvement de régression démocratique, « la Présidentielle » de la Vème République se transforme en élection « permanente », « omnisciente », avec des candidats eux-aussi « permanents » et « omniscients ». Elle s’accompagne désormais d’un vaste marché de la communication politique, où chacun vend ou achète ses méthodes marketing censées être les plus opérationnelles, en adéquation avec le candidat et le moment politique. Bien entendu, on se cherche des modèles de « savoir-faire » partout dans le monde, à commencer par les Etats-Unis, là où le marché est depuis longtemps florissant. Techniques de l’Internet, ciblage électoral, marketing relationnel, mises en scène en public, outils publicitaires et d’identification, définition des « punchlines », préparation des passages médias… la liste des outils est aussi longue que les chargés de communication (qu’on se refile d’une équipe à l’autre) et qui tentent de se faire une place au soleil. C’est ainsi que les méthodes de marketing et de communication entrepreneuriale ont envahi tous les espaces de campagne. Rajoutez à cela quelques experts de connivence pour vous préparer votre programme et la boucle est bouclée…
Parmi les exemples marquants de ces pratiques, on relèvera notamment l’adoption par plusieurs candidats de nouvelles mises en scène dans leurs réunions publiques ou meetings, héritées du monde de l’entreprise et du management, préalablement adoptées tant par les évangélistes du marché que par les évangélistes religieux. Elles consistent par exemple à placer désormais le sujet au cœur d’une arène, selon un placement et un code vestimentaire adapté, à le faire se déplacer pour s’adresser à tous et à chacun tout au long de la prise de parole (avec ou sans prompteur ; c’est selon !). C’est ainsi que nos candidats se sont mis, bizarrement, à tournicoter. Ils tournicotent, ils tournicotent, sous les yeux sans doute béats d’admiration de ceux qui leur ont expliqué que c’était formidable de tournicoter en rêvant à Steve Jobs ou à un prédicateur… Une autre mise en scène régulièrement et historiquement servie (mais largement resservie ces derniers jours), consiste à présenter un magnifique tableau de « diversité » et de « jeunesse » à l’arrière du candidat qui s’exprime, sans doute pour faire sentir la force de rassemblement !
L’autre « mamelle » de ce vaste marché se tient bien entendu à l’écart des jugements, tout en  faisant office de juge permanent de l’offre mise en rayon. Comme pour le domaine de la consommation alimentaire, l’institut de sondage sonde ainsi son panel de consommateurs politiques. Il a ses « produits du mois ou de l’année », ses « produits d’appel » et « ses grandes marques ». La commande éditoriale et politique lui assure une place totalement démesurée, avec son cortège de biais et d’artefacts bien connus, mais jamais remis en cause.  Si  l’opinion publique n’existe toujours pas, on entend bien continuer à la créer et à la renouveler. Pour se rassurer. Pour s’inventer des histoires, des parcours, des progressions et des échecs. Pour répondre aux attentes des soutiens. Pour se chercher une prophétie, que l’on espère « autoréalisatrice ».
Bien entendu, comme non spécialiste de ce marché de la communication électorale, j’ignore sans doute beaucoup des ficelles servies notamment en matière de travail des relations media, sur les réseaux sociaux (dont les « followers » s’accumulent comme les pains), ou à travers la recherche  d’adhésion « relationnelle », voire « fusionnelle » notamment sur Internet… Au-delà du nécessaire dévoilement de ces véritables process de fabrication politique, l’essentiel devrait résider dans l’analyse critique des objectifs poursuivis et/ou déjà accomplis :
- celui de rendre secondaire, en particulier en période de « Présidentielle », la nécessité d’un réengagement durable dans l’action et l’activité politique au service de la transformation sociale ;
- celui de relayer en arrière plan les vraies causes du désengagement actuel que sont les difficultés de la vie quotidienne qui s’accroissent et l’imposition directe ou indirecte, consciente ou inconsciente, d’une démocratie de basse intensité et hyper-délégataire ;
- celui d’instiller à la majeure partie de la population, un consentement constant au renoncement, actant l’impossibilité de construire son propre avenir et d’autres réponses politiques que celles servies par des professionnels. Rejeter le plus loin possible l’implication concrète des électeurs tout en se parant de modernité politique, voilà la ligne !

Cette élection, de plus plus « corporate », prouve ainsi toute la difficulté que nous avons de convaincre de sortir la politique du chemin consumériste sur lequel surfent tout autant « les forces du marché de la résignation » que les opportunismes politiques. Alors que le déploiement des techniques visant à coller aux demandes de « consommation », aux habitus d’électorats clairement ciblés, est aujourd’hui une évidence, notre pratique militante de contact régulier, d’échange et de construction partagée est très souvent remise en question, par ceux-là même à qui nous nous adressons et qui devraient constituer le socle d’un renouveau de l’implication en faveur d’alternatives aux politiques libérales et d’austérité. Il nous est ainsi très souvent servi des réponses du type « on ne vous voit pas », « on ne vous entend pas », « vous n’êtes pas assez visibles dans les médias », alors même qu’il s’agit parfois de choix en positif dans notre conception d’une citoyenneté active et de l’implication populaire. Nous le vivons d’ailleurs aussi électoralement lorsque nous faisons le choix déterminé de présenter des candidatures issues des catégories socioprofessionnelles représentatives de la France, mais qui ne recueillent pas suffisamment de suffrages de ceux-là mêmes qu’ils sont censés représenter.  

Que ceux qui affichent pleinement leur dévouement idéologique au libéralisme et au management de l’entreprise accompagnent ces dérives dans la pratique politique est une chose. Que ceux qui entendent y résister et les combattre enfourchent les mêmes techniques, et parfois les mêmes objectifs, sans que l’on puisse en critiquer lucidement l’intérêt et les conséquences pour ce combat, en est une autre. Notre critique radicale et de longue date de l’élection présidentielle aurait ainsi dû nous conduire à agir de façon déterminée sur les conditions de notre action et de notre pratique politique dans cette campagne, pour servir à une prise de conscience sur la nécessité de dépasser cette élection profondément antidémocratique et contraire à l’intérêt des dominés. Aussi, les rails sur lesquels se construit notre engagement dans « la Présidentielle » de 2017 ne me semblent pas satisfaisants. Nous avons besoin d’actes d’implication durable, de construction collective et partagée, de mise en commun, pas d’un nouvel acte de consommation politique instantanée. Et il me revient toujours cette citation bien connue de Bourdieu : « Pour changer la vie, il faudrait commencer par changer la vie politique ». 

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