N'abaissons pas le débat de fond dont les communistes se sont emparés !

Beaucoup de ceux que nous côtoyons ont du mal à comprendre les enjeux des débats qui agitent aujourd’hui les communistes dans la préparation des prochaines échéances électorales de 2017. Ils nous le disent avec des mots simples. Ils nous le font sentir, le plus souvent avec une question directe : « alors vous soutenez qui ? » Dans ces moments d’interpellation, nous avons souvent du mal à expliquer les tenants et les aboutissants de notre réflexion collective. D’abord parce que, pour reprendre une formule devenue célèbre, « à chaque problème complexe, correspond une solution simple. Mais celle-ci est fausse. »
Est-ce alors, parce que la situation du monde, du pays, de la gauche est complexe qu’il conviendrait désormais d’éluder le sens profond et dynamique de nos débats et de notre réflexion, quitte, au final, à aller jusqu’à véhiculer auprès de nos propres militants (appelés à se prononcer les 24, 25 et 26 novembre sur un choix binaire) des raccourcis et des formules de « sens commun », telles que celles que nous voyons fleurir dans certaines prises de position ces derniers jours. Il y aurait ainsi des « choix naturels », des « choix responsables », des « choix raisonnables », des « votes utiles »… Est-ce à dire qu’il y aurait donc, d’un autre côté, des choix « surnaturels », « irresponsables », « déraisonnables », voire « inutiles » ? Ce n’est décidément pas la conception que je me fais d’un débat responsable, raisonné, utile et respectueux des militants qui cheminent avec raison.
Je crois pour ma part, que les débats que nous avons initiés lors de notre Conférence nationale, sont ceux-là même que nous avons préféré mettre sous le tapis en 2011, et laisser en jachère depuis 2012. Oui, nous avons besoin de confronter et de partager nos réflexions entre communistes, et en toute transparence avec tous ceux qui nous entourent.
Je souhaiterais ainsi insister, à quelques heures de ce vote, sur 3 éléments parmi beaucoup d’autres, mais qui me paraissent assez saillants dans notre réflexion : la conception que nous attachons au principe d’un rassemblement à gauche et de nos rapports à la gauche ; la conception de notre pratique politique aux côtés de celles et ceux qui luttent et qui ne se résignent pas ; la conception de la recherche de propositions programmatiques communes et partagées.
Premier élément : la conception du rassemblement. Il s’agit là du cœur du problème politique qui nous est posé. En effet, nous connaissons trop l’histoire politique de la France, pour nier que le clivage droite/gauche existe, qu’il imprègne profondément notre société. Nous connaissons trop l’histoire politique de notre pays pour nier que la gauche est diverse, multiple même, par ses cultures, par les trajectoires de ses forces et de ses penseurs. Essayer de passer par-dessus bord ce constat, ou tenter de le substituer par une nouvelle conception du champ politique et de ses rapports de forces en France, n’est pas sérieux. Oui, nous avons besoin pour gagner demain les transformations sociales, économiques et écologiques indispensables à l’humanité du XXIème siècle et aux Français, d’une gauche qui tire à gauche, d’une gauche de gauche. Mais nous n’y parviendrons pas en fantasmant sur la capacité intrinsèque au changement politique d’une simple gauche de la gauche. Aucun pays européen n'a d'ailleurs trouvé un tel chemin politique avec une gauche de la gauche arrivant seule au pouvoir. L’analyse que nous faisons de la gauche est donc, à mon sens, tout à fait centrale dans les choix qui se dressent devant nous. Soit nous sommes conscients de cette impérative nécessité de rassembler toute la gauche qui refuse les dérives libérales pour construire un rassemblement très large, porteur d’espoir, soit nous préférons nous enfermer dans une forme de pureté et de repli qui ne servirait au final qu’à renforcer les dérives libérales, autoritaires, voir les remises en cause du clivage gauche/droite dont rêvent depuis si longtemps les forces les plus opportunistes, réactionnaires ou xénophobes. Je suis conscient que cette prise de conscience, est de plus en plus en plus difficile pour des consciences qui ont été durement travaillées par un pouvoir élu par un électorat de gauche, mais qui a très rapidement et très clairement abdiqué devant les forces d’argent. Mais l’effort de compréhension de ce qui se joue dans l’électorat de gauche lui-même ne m’en paraît que plus nécessaire encore. D’autre part, il me semble que le principe d’un tel acte de rassemblement repose sur des engagements et valeurs fortes : l’humilité, la générosité, l’ouverture et le dialogue entre toutes celles et tous ceux qui veulent y prendre part. Avant même de confronter nos analyses et nos propositions politiques à gauche, ce devrait être notre premier acte de confiance réciproque. Je crois, en toute modestie, que cela a été de façon constante, et depuis des mois, l’orientation politique de notre parti. Nous pouvons en être fiers, même si le constat aujourd’hui est sans appel : cette main tendue à toute la gauche qui ne renonce pas n’a pas suffit à lever certains obstacles. Pour autant, et à l’heure qu’il est, il me paraît tout à fait évident, que l'anéantissement de cette politique de la main tendue et rassembleuse, se traduit (malgré le caractère restrictif des intitulés des deux choix qui nous sont soumis) bien plus clairement dans l’option 1 actant un soutien immédiat à une candidature de Jean-Luc Mélenchon, que dans une option 2 maintenant la possibilité d’un retrait de notre candidature d’appel au rassemblement, sur la base d’un accord politique partagé incluant une candidature plus rassembleuse et efficace encore.
Deuxième élément : la mise en pratique d’une nouvelle pratique politique. On ne peut pas regretter constamment l’affaiblissement de la capacité des citoyens, du monde du travail, des plus démunis à agir et à construire par eux-mêmes leur avenir, et proposer au final, comme orientation fondamentale lors de l’élection « première » de la Vème République, de soutenir un candidat doté d’un programme à prendre ou à laisser, travaillé à quelques intelligences (si brillantes soient-elles), sans possibilité d’intervention sur son cadre, ses contenus et ses orientations. Ce serait un bien curieux retour en arrière pour une organisation politique qui a su tirer de son passé sa propre réflexion sur ses pratiques, parfois très centralisées, voire autoritaires. Oui, avec un tel choix assumé, nous nous situerions aux antipodes de ce qui nous caractérise désormais dans notre action au quotidien, sur tous les territoires et les lieux de vie où nous agissons. Nous serions à mon sens aux antipodes du « comment » nous comptons incarner le retour d’une démocratie active et participative, d’un progrès social se construisant avec des millions d’intelligences. Nous le serions d’autant plus, en accréditant, de fait, des pratiques que l’on croyait réservées aux théoriciens ultralibéraux de la « bonne gouvernance » et aux cercles patronaux, qui se perdent en signatures de « chartes de bonne conduite » censées, à elles seules, être des gages de bonne moralité capitaliste. Mesurons-nous vraiment la portée et le signal donné par un tel contresens politique et historique, avancé par celui qui comptait incarner une VIème République ? Commencer par soumettre « ses » candidats, à la signature d’une charte d’engagement individuelle censée garantir l’éthique et la droiture politique de ceux qui seraient élus ! Quelle marque de confiance !
Troisième élément : le cheminement collectif vers des propositions politiques communes et partagées. « L’union est un combat ». La formule, sans doute communiste, est célèbre. Mais, ce qui est sûr, c’est que le processus de construction collectif et de mise en commun est diablement plus instructif et enrichissant que le travail chacun dans son coin. Et je crois qu’il est aussi valorisant dans le champ politique que dans le champ scientifique. Il a aussi son corollaire : il prend du temps, et demande du respect et de la patience, avant que de parvenir à dégager des convergences débouchant sur une série de propositions d’action politique. Il semble, là-aussi, que la question de la maitrise de ce temps long, soit un des reproches qui ait conduit le candidat soumis à l’option 1 à construire par lui-même, tout son programme et rien que son programme, en contrepoint de la construction du programme du Front de Gauche en 2011-2012… alors même que déjà, je trouvais sa construction bien trop peu participative et figée dans le temps ! Disons-le aussi clairement, nous avons des convergences mais aussi de profonds désaccords avec le contenu présenté par Jean-Luc Mélenchon. Les plus profonds tiennent sans doute dans des renversements opérés dans les priorités programmatiques, en matière de progrès salarial, de droit du travail, de construction européenne, de lutte contre la finance et le pouvoir des banques, d’action en faveur de la transition écologique et énergétique… Nous avons, comme communistes, avec humilité mais conviction, beaucoup de choses à dire et à apporter sur tous ces domaines. Une volonté de rassemblement ne s’incarnait-elle donc pas d’abord par des échanges continus sur ces contenus différents, tout en élargissant constamment les apports avec toutes les autres réflexions à gauche, des écologistes, des forces du mouvement social et associatif, des citoyens… en cheminant même jusqu’au jour du vote et au-delà ! Là-aussi, je suis stupéfait par l’archaïsme d’une pratique politique qui consiste à balancer un programme comme un paquet-cadeau censé régler tous les problèmes… les citoyens connaissent d’ailleurs trop bien ce genre de ficelles qui ne tiennent que le temps d’une élection.

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