Le caméléon, l'autruche et autres animalités politiques... ou comment reprendre la plume un 5 octobre

"Caméléon : nom masculin. 1. Lézard arboricole insectivore, doué d'homocromie active, vivant en Afrique et dans une partie de l'Asie. 2. Fig. Personne versatile, qui change facilement d'opinion. 
  • Les caméléons sont remarquables par leur peau, qui peut prendre la couleur du milieu où ils se trouvent..."

Autruche : nom féminin. Oiseau de grande taille vivant en bande, aux ailes impropres au vol, pouvant courir très vite. [...] Fam. Politique de l'autruche : refus de prendre un danger, une menace en considération.

Larousse, dictionnaire encyclopédique


 Il y a des 5 octobre, comme ça, qui vous font comme des envies de vous remettre sur l'établi du blog. Vous ouvrez comme chaque soir votre boîte aux lettres. Vous y trouvez deux lettres, et, comme chaque Puydômois ce 5 octobre, le magazine "Puy-de-Dôme en mouvement", bulletin d'information du conseil général - oups ! - devenu conseil départemental par la grâce nocturne de Saint François.

 Bien évidemment, vous ne vous jetez pas dessus. Ce serait gâcher l'envie pressante que vous avez de faire faire les devoirs à l'aînée, et le bain du petit dernier, avant que de se mettre en cuisine pour nourrir les oisillons. Mais c'est bien après le coucher des petits marcassins, qu'il vous prend tout de même la petite envie d'aller au petit coin, et de voir plus loin sous la "bovine couverture" du joli magazine. C'est en page 4 que vous pourrez ainsi prendre une leçon de biologie politique. 

 L'édito du Président de l'assemblée départementale vous invite en effet à "savoir écouter et entendre". On y apprend d'abord que "la démocratie est malade de la démagogie", que "la démagogie, c'est dire "oui" à tout et donner raison à celui qui crie plus fort que les autres", et que "la démocratie, c'est savoir écouter et entendre et savoir distinguer ce qui est prioritaire de ce qui est accessoire". Ma cervelle de moineau, qui croyait naïvement que la démocratie pouvait encore s'incarner dans la célèbre citation "du pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple", en prenait ainsi pour son grade.

 Cette soif éditoriale pour la démocratie ne s'arrêtait pas là. Jugez plutôt : "La situation des finances publiques est telle aujourd'hui que nous devons établir à tous les niveaux des priorités. La loi NOTRe votée cet été rappelle, au bout du compte, que la mission des départements est la solidarité : solidarités humaines et générationnelles, solidarités territoriales. Nous devons alors concentrer l'action du Conseil départemental sur ces missions. Ceci nous obligera à faire des choix budgétaires difficiles sans doute mais indispensables assurément si l'on veut préserver la capacité de notre département à remplir son rôle dans les années qui viennent."

 Donc, même une cervelle de moineau comme la mienne aura compris, le message subliminal qu'il fallait "écouter et entendre" derrière cette apologie de la démocratie : la sagesse politique, c'est de savoir couper dans les dépenses publiques utiles, même quand il est question de solidarités fondamentales. Bien entendu, il n'est pas besoin d'avoir une mémoire d'éléphant pour comprendre que cette leçon de choses va à contresens de multiples déclarations politiques du même Président, déplorant l'absence de compensation par l'Etat de la hausse des allocations de solidarité ou écrivant aux maires et aux élus municipaux du Puy-de-Dôme pour les enjoindre à délibérer en faveur de la défense du Département et de ses ressources. 

 C'est ainsi qu'en lisant ces lignes, soudain, c'est la figure du caméléon qui me saute aux yeux, avec cette incroyable capacité naturelle à pouvoir changer de couleur en fonction du milieu et du moment. Quoi de mieux en somme que de surjouer la nécessité de sauver les départements en façade, pour accompagner docilement leur liquidation financière. Quoi de plus efficace que l'attitude du caméléon, quand on est membre d'un parti (le PRG), qui a accompagné et voté tous les projets de lois de finances et de programmation des finances publiques depuis 2012, de financement de la sécurité sociale, et toutes les lois les plus régressives en matière de droits sociaux et démocratiques, que de s'afficher en défenseur local des missions de solidarité des départements pour mieux tenter de masquer les choix parfaitement contraires des élus nationaux de sa sensibilité. Faut-il rappeler à Monsieur le Président que la situation des finances publiques permettrait de répondre très largement aux besoins des départements pour mettre en oeuvre toutes leurs politiques de solidarité si 40 milliards d'euros n'étaient pas généreusement offerts aux multinationales et aux actionnaires par l'intermédiaire du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), voté par la majorité socialiste et radicale de gauche au Parlement ? Faut-il rappeler que les départements pourraient nourrir des politiques très ambitieuses si la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales avait été une priorité d'un gouvernement élu par la gauche, permettant de récupérer une partie des 80 milliards d'euros injustement soustraits à la solidarité nationale chaque année ?

 Mais cette entrée en matière éditoriale ne serait rien si nous ne retrouvions, dans les pages "expression des groupes politiques" du même magazine, une source d'inspiration inépuisable pour qui s'attacherait à fonder une nouvelle hiérarchie animale en matière d'hypocrisie politique. Ainsi, l'ensemble des membres du groupe socialiste, radical et républicain cosigne un véritable monument d'enfumage. Les abeilles n'ont qu'à bien se tenir - elles qui souffrent déjà tellement des pollutions chimiques - devant la communication bien mielleuse déployée pour tenter de justifier la baisse d'un million d'euros de l'enveloppe de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) sur le budget du conseil départemental, la petite tambouille sur les critères de la dépendance (GIR) ou les renoncements en matière d'accompagnement à domicile. On ne saurait que conseiller aux rédacteurs de cette belle pommade sémantique de déployer de temps en temps leurs ailes pour aller voir de leurs propres yeux, visiblement bien embués, les conditions de vie déplorables de millions de nos aînés, faute de retraites décentes et d'accompagnement social et de santé un tant soit peu respectueux des efforts qu'ils ont consenti toute leur vie durant au service de l'intérêt commun et de la solidarité nationale. 

 Perle des perles d'hypocrisie, je reste estomaqué devant les propos d'une droite dénonçant le désengagement de l'Etat, elle, qui, pendant dix années a mis la France à genoux, sur les rails de l'austérité, des coupes budgétaires, du non-remplacement de tous les agents du service public, allant jusqu'à ériger l'injustice sociale en simple loi naturelle. Vous me direz sans doute qu'il vaut mieux faire l'autruche plutôt que de faire le constat amer d'un bilan désastreux. 

 Face à ce véritable ballet animalier, "tempête dans un crâne", aurait sans doute dit mon père, postier retraité, que l'on surnomme toujours "la bécasse", lui qui m'en a fait goûter quelques unes, à défaut de pouvoir me les payer chez nos chefs étoilés. Achevant ma lecture sur l'analyse lucide et déterminée des amis et camarades du Front de Gauche, bestioles persévérantes et besogneuses, aussi indispensables à la fertilité des lendemains qui chantent que les lombrics à la fertilité des sols, je me pris à errer sur la toile des réseaux. 

 Triste décision, quand, croisant par hasard une députée écologiste dénonçant la baisse des crédits affectés au ministère de l'Ecologie pour 2016, et ayant posté ces mots " Quel niveau de contradictions de ses dirigeants une démocratie peut-elle accepter ?", je ne pu m'empêcher de piquer tel le frelon : "Et c'est une députée qui a voté pour le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, et les projets de loi de finances pour 2013 et 2014 qui vous le dit !"

 Las, je me décide enfin à quitter le clavier, pour plonger sous les draps de ma conscience, sans doute trop rougis par le cœur et l'esprit d'une cohérence politique qui fait tant défaut aujourd'hui. Mais déjà, je m'imagine, reprenant la plume, sur le modèle merveilleux de Jean de La Fontaine, pour livrer quelques vers d'un prochain "L'autruche et le caméléon", qui sauraient vous faire rire, plutôt que pleurer. Demain est un autre jour. Nous y sommes déjà. Mais la nuit, tous les chats sont gris. 




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