3 juin 2014 : comment la « contre-révolution libérale territoriale » a débarqué de l’Elysée

 En entérinant en quelques heures ce 3 juin 2014, en petit conclave élyséen, la plus vaste refonte des territoires de la République que la France ait connue depuis la Révolution française, François Hollande cède brutalement aux exigences d’adaptation du capitalisme mondialisé. Que la demande initiale provienne des relais de la classe dominante qu’incarnent le FMI ou la Commission européenne, cela ne fait aucun doute. Mais cela ne change rien à l’histoire. C’est bien le Président de la République qui est le petit soldat de la contre-révolution territoriale libérale en France.
 En intervenant sous cette forme, sans aucun débat de fond dans le pays, et sans qu’aucune consultation populaire n’ait été ne serait-ce qu’évoquée, le soldat Hollande fait le choix de prendre la tête des forces les plus réactionnaires à l’encontre de l’idéal républicain. Le Nouveau-régime qu’il dessine n’est pas ici un simple retour à l’Ancien-régime, quoi que le fond politique en partage de nombreux aspects. Il s’agit de confier en réalité toujours plus de pouvoir aux forces d’argent, et d’éloigner toujours plus les citoyens des lieux de décision.

 Devant un tel contresens historique et politique, pleinement assumé par un Président étiqueté socialiste, plusieurs questions viennent à l’esprit. N’est-ce pas d’abord le paroxysme du discrédit politique de Hollande, qui lui permet aujourd’hui, en monarque honni, de s’arroger le droit de couper dans les territoires comme bon lui semble, de liquider en quelques heures plus de deux siècles de construction républicaine, et de céder sans retenue aux exigences des dominants ? Plus inquiétant, n’est-ce pas le repli sans précédent de l’engagement citoyen et politique qui rend possible en quelques heures cette grande dissolution territoriale ? Plus dangereux encore, ce 3 juin 2014, après le 21 avril 2002 et le 25 mai 2014, ne marque t-il pas une dissolution encore plus prononcée dans le corps social des valeurs attachées à la démocratie, qui faisaient jusqu’alors face au pouvoir économique et aux forces de la réaction ?
 La réponse par l’affirmative à ces 3 questions coule de source. Elle s’enracine dans le terreau fertile du virage politique des années 1970-1980, et dans l’épanchement de la culture libérale dans tous les champs de la société depuis 30 années. Cette contre-révolution libérale appliquée aux territoires de la République s’inscrit aussi dans une continuité politique plus récente : une droite au pouvoir pendant dix années, qui a fait sauter tous les verrous idéologiques républicains. En outre, cette même droite avait déjà fait le grand ménage dans les services déconcentrés de l’Etat, en fusionnant, avec sa petite invention sémantique, la révision générale des politiques publiques (RGPP), les administrations, éliminant au passage par milliers les fonctionnaires d’Etat, ce « corps rigide » si néfaste à l’épanouissement économique ! L’alternance sociale-libérale parachève ainsi le travail en liquidant les derniers îlots de service public de proximité et décentralisé dont la légitimité démocratique, certes imparfaite et affaiblie, apparaissait désormais trop en décalage avec la doxa libérale. Il n’y a pas d’alternative, comme disait l’autre.

 Pour prendre un peu de légèreté avec le danger que fait naître ce nouveau débarquement néolibéral, comment ne pas faire un aparté sur l’agent double qui accompagne désormais tout bon soldat au service du capital ? Car pour accomplir cette contre-révolution sans encombre, le Président de la République n’avait pas seulement besoin de son grenadier-voltigeur de Premier ministre. Non, il avait besoin de son plus zélé serviteur, un homme de confiance : « my media dominant ». Ainsi les angles d’attaque de l’accompagnement médiatique de ces décisions ont suivi (et suivent encore !) un véritable « storytelling » en plusieurs actes, qui pourrait prêter à rire s’il n’était pas aussi efficace qu’un char Leclerc lancé à pleine vitesse.
 D’abord la préparation des esprits : pendant plusieurs semaines, on vous instille le goût rance du « millefeuille territorial », « si coûteux », si « sclérosant », si « étouffant pour tous ».
 Puis, juste avant l’annonce, on vous balance le petit jeu des spéculations territoriales : « Et toi, tu te marierais avec qui hein ? Et ton département qu’on supprime, on le case avec ma métropole, t’es d’acc ? ». Cette semaine de « Tournez manège territorial », a parfaitement joué son rôle d’occupation des esprits… jusqu’à ceux des Présidents de Régions, qui ne savaient plus quoi faire de ce temps d’attente avant l’accouchement monarchique, et qui lançaient leurs propres petits jeux !
 Une fois l’annonce faite, est donc venu le moment de changer d’histoire, pour se vautrer un bon coup dans un « micro-trottoir » territorial à grande échelle. Cette véritable jouissance télévisuelle, gavée au sens commun et au folklore régional, allait assurer 48 heures d’audimat à moindre coût. Ici on fait parler l’Auvergnat qui risque de voir disparaître « sa potée », et là un toulousain dont « la saucisse » (au porc breton ou danois !) serait menacée par le déséquilibre montpelliérain. Après une journée éreintante, on est tous affectueusement sensibles à la menace du dégoupillage de saucisson ou à celle de la volée de crêpes bretonnes, n’est ce pas ?
 Mais très vite, les experts de « l’opportunité économique » que représente ce chamboule tout républicain font leur entrée en piste. Toujours les mêmes, car ce sont des experts. Leur mission à eux est de finir de convaincre des économies réalisables à plus ou moins long terme, des rapprochements d’activités fructueux qui pourraient booster la création d’emploi, de la simplification implicite des démarches et freins administratifs... L’illusion économique libérale achève de convaincre les derniers réticents à coup de chiffres et de vérités vraies. D’ailleurs, à qui viendrait-il à l’esprit de vouloir expertiser ce que dit un expert ?
 Vous me direz : tout cela n’est pas sérieux. Et justement, comme çà n’est pas sérieux, cela fait passer du bon temps à celles et ceux qui en ont peu pour ouvrir leur propre réflexion sur les conséquences, notamment pour son quotidien, de telles décisions. La fabrique à consentement qu’est « my media dominant » a encore une fois suivi sa lettre de mission au mot près pour endormir la République.

 La dernière étape de cette contre-révolution territoriale libérale sera sans aucun doute la fusion-dissolution des 36 000 communes françaises. Pourquoi ? Parce que ces véritables « parasites » républicains entretiennent des liens politiques forts avec les citoyens, les conduisant même, parfois encore, à élire des représentants résistants au nouvel ordre libéral. Mais chaque chose en son temps, il faut bien en laisser un peu à l’alternance politique qui suivra…à moins que ne s’organise la résistance ?


3 juin 2014 : comment la « contre-révolution libérale territoriale » a débarqué de l’Elysée

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