Les jours qui viennent vont être extrêmement enrichissants pour approfondir nos connaissances sur la crise. Une crise terrible qui n’en finit pas de ruiner les peuples, et qui touche tout le monde sans exception, comme nous l’entendons partout sur les ondes. C’est vrai, il nous faut avoir bien conscience du caractère global de cette crise. Pour finir de s’en convaincre, les entreprises du CAC 40 vont tour à tour publier leurs résultats annuels au titre de l'année 2011.
Pas de doute, çà va être tendu. On va voir des mines pathétiques monter sur des tribunes de moquettes bleues agencées sobrement devant des parterres sélectionnés d'actionnaires anxieux, la larme à l’œil, attendant des discours sobres et de circonstance, annonçant que les temps sont durs, et qu'il est tend de se serrer la ceinture.
On va voir des PDG, des directeurs financiers et de « supply-marketing », venir faire leurs « mea-culpa » sur leur mauvaise gestion des profits et des investissements financiers spéculatifs, sur leurs revenus décadents, sur la dérive qui a consisté à dilapider plus de la moitié des milliards d'euros accumulés ces dernières années grâce au travail sans relâche des ouvriers, des techniciens et des cadres pour servir les dividendes d’actionnaires qui n’en avaient que faire du développement de l’entreprise.
Naturellement, TF1, Le Figaro et la Tribune feront leur une sur cette repentance salutaire. Ils se risqueront peut-être, sans être trop voyeurs pour respecter la vie privée, à montrer quelques images furtives de ces patrons voyous se faisant hara-kiri en direct. On poussera même l’intensité du spectacle, jusqu’à déclarer collectivement une minute de silence, avec une belle photo quatre par quatre en costard, pour le grand chef de cette multinationale de l’agroalimentaire bien connue, qui se sera jeté du haut de la fenêtre blindée de son conseil d’administration, ayant préféré le suicide libérateur au déshonneur.
Dans un continuel ballet infographique, nous verrons défiler, en temps réel, une succession de valeurs négatives, de chiffres rouges de pertes consenties par tant de dérives. Tous endettés, il va falloir dépenser moins, pour gagner moins. Une dernière tragédie de la mondialisation capitaliste.
Vraiment, je frémis à l’idée d’un tel spectacle, parachevant la ruine de l’idéologie de l’argent roi.
À moins que ce ne soit un autre scénario qui se dessine sous nos yeux dans ces jours sombres. Un scénario d’humour noir, bien plus cynique que le précédent. Essayons de l’imaginer quand même. Je sais que c’est difficile. Mais passons maître quelques instants dans l’art littéraire de l’anticipation.
Voyez plutôt. Le parterre de la salle remplie d’actionnaires triés sur le volet est bien bleu, mais d’un bleu vif, soutenu par une multitude de leds ressemblant à un ciel étoilé. On devine au premier rang des têtes connus, d’anciens ministres de la période, des éditorialistes, des responsables d’agences de conseil ou de sondage. Un sentiment de déjà vu nous envahi.
Projetée sur le mur, une présentation impeccable de tableaux et de courbes, gérées admirablement par le plus célèbre des logiciels destiné à l’asservissement des consciences. Les mêmes PDG et directeurs financiers ont la mine réjoui des grandes heures de l’entreprise. On y retrouve toutes nos fiertés du CAC 40, d’Accor à ArcelorMittal, d’Axa à BNP Paribas, de Bouygues à Danone, en passant par GDF-Suez qui aime le froid plus que tout. On y retrouve notre vieille connaissance L’Oréal et notre fournisseur officiel de remèdes anti-mal de vivre, Sanofi-Aventis. On y retrouve notre champion autoroutier national, Vinci, et notre généreux fournisseur de produits pétroliers, Total. On en oublie 29 autres, mais elles feront la même chose.
Le nez tout juste repoudré pour mieux présenter dans le futur spot de « corporate communication », de beaux messieurs lanceront des : « Au-delà du court terme et des incertitudes d’un contexte économique et financier particulièrement volatil, nous sommes profondément confiants dans la solidité de notre modèle ». Il enchaîneront par des : « Le résultat net part du Groupe ne cesse de croître à 3,6 milliards d’euros pour l’année 2011 ! ». Ils continueront par le si célèbre : « Notre groupe réalise des performances remarquables, ce qui nous permet de porter le dividende par action à 1,72 euros au titre de 2011 », avant de terminer sous les ovations par cette belle maxime : « Fidèles à nos engagements, cette augmentation est en ligne avec la politique menée depuis plusieurs années qui consiste à redistribuer 50 % du résultat net à nos actionnaires ».
Et ils pousseront la gloire jusqu’à féliciter tous les travailleurs du groupe, qui peuvent être fiers de voir le fruit de leur travail venir si généreusement récompenser les généreux actionnaires.
Au total, pour les 40 compères, le profit de 2011 approchera sans aucun doute les 100 milliards d’euros. Que ce sera beau ! Dans ces salles, le sang de l’argent frais coulera à flots.
Mais nos esprits se mettent à divaguer. On se rend compte que dehors, le froid de février lamine les corps de ceux qui n’ont pas un toit Bouygues ou Vinci au-dessus de leur tête. Mais non ce n’est pas possible !
Alors la petite voix blonde, sortie qui sort de la machine rectangulaire, viendra nous redire : « Allons du calme. Votre imagination vous joue des tours. Rendormez-vous sur votre canapé. On va vous rafraîchir le cerveau. Décidemment, vous avez trop d’imagination en ces temps préélectoraux. »
Et la petite voix blonde vous expliquera agréablement, qu’il n’y a plus d’argent pour vos écoles, vos hôpitaux, vos crèches, et vos salaires. Que cette poignée de milliards, c’est le signe balbutiant d’une santé économique à peine retrouvée dans un contexte difficile, et qu’il ne faut surtout pas jeter la pierre ou casser la dynamique.
À moins que ce ne soit une autre suite que l’on invente ensemble…
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