De retour d'un week-end familial, j'ai pu constater (s'il le fallait encore) toute l'étendue des capacités des forces conservatrices à agir en prescripteur d'opinion. Je ne sais en effet combien de fois en 4 jours, il m'a été demandé, presque avec un trémolo dans la voix, à la suite du survol de la page « France » ou « Monde » du quotidien régional, ou au détour d'un zapping sur BFM TV : « mais que va t-il se passer ? »
Il est vrai, qu'en pleine période estivale, nous avons vécu un véritable week-end prolongé de crise, avec son lot de plongeons et de remontées du CAC 40 et du Dow Jones, et le véritable engorgement des transactions sur les marchés financiers. Pour le coup, le grand chassé-croisé annuel des « classes moyennes » contraintes de raccourcir leurs vacances faute de revenus, est presque passé inaperçu alors qu'il tient habituellement le haut du pavé de l'agenda médiatique à la même période.
La ligne éditoriale des télévisions, comme des radios et de la presse écrite, a été limpide : comment installer efficacement et durablement les Français dans un sentiment de peur face « aux marchés » et à « une dette abyssale », pour mieux les conduire à accepter dans les semaines à venir l’inacceptable atteinte à leurs droits sociaux ?
La comédie se joue en trois actes, suivez le guide !
Acte 1
Vendredi 5 août 2011 : la « breaking news » ou « l’information capitale »
La première des réponses a consisté à relayer en boucle « l'information capitale » de la dégradation de la note américaine par l'agence de notation Standard and Poor's de AAA en AA +, ce qui, vous en conviendrez, semblait constituer pour le commun des mortels une véritable tragédie en soi. Nous voyions ainsi ressurgir sous nos yeux, les mines pathétiques et les regards médusés des « travailleurs » assidus installés devant les écrans d’ordinateur des salles de marché. Un véritable cauchemar pour vacancier paupérisé vous dis-je !
Cette info semblait curieusement se suffire à elle-même, et personne, dans ces brillantes salles de rédaction à flux tendu, ne jugea opportun de revenir sur les origines de la dette des Etats, ni sur les fondamentaux du fonctionnement des marchés financiers, et encore moins sur les ressorts qui guident une économie capitaliste… Non, on ne paye pas un Mazerolle ou un Duhamel au mérite pour ce genre de réflexions passéistes et rébarbatives ! Leur job, c’est de laisser le téléspectateur dans l’ignorance et la confusion, seul face aux angoisses que l’on a soi-même créé. Et « ils ont fait le job », en servant une « mauvaise histoire », mais « sans histoire ».
Exit donc la famine dans la corne de l'Afrique, les milliers d'enfants en sursis, les familles cheminant vers les camps de réfugiés, luttant pour leur survie, et abandonnant souvent le plus faible à son sort...
Place à 48 heures de bourrage de crâne assuré !
Acte 2
Lundi 8 août : le « Cac Krach » et « l’angoisse montante de la dette »
Les écrans s’affolent, et faute d’images assez puissantes pour marquer les esprits, capables de remplacer les interminables files de véhicules acculés aux péages aux prix exorbitants des sociétés d’autoroute, toutes les chaînes décident d’incruster en temps réel le niveau des points du CAC 40 et l’ultime variation en cours. Suspens haletant, « les marchés » semblent fébriles, atteints d’une épidémie planétaire suite à la nouvelle, à la recherche du moindre indice spéculatif pour migrer vers les cieux les plus prospères. Le CAC 40 semble saisi de soubresauts inexplicables, tour à tour « dans le rouge », « en chute libre », « rebondissant », « consolidant », « replongeant », « sous les 3000 points », « dans l’attente de nouvelles transatlantiques »… Bref, ce machin-là ne semble pas bien savoir où aller. Et pourtant, à en croire tous les journalistes, il s’agit tout à la fois de la boussole, de la boule de cristal, de l’osselet et du crucifix du capitaliste averti. Nous voilà donc revenus aux temps de l’homme préhistorique, à ceci près que ce n’est pas le ciel, mais Standard and Poor’s qui nous est tombé sur la tête.
Faut-il se risquer dès lors, à une interprétation, une analyse, un point de vue sur la situation et son avenir ? La chose est délicate, complexe… Et il faut bien trouver un bouc-émissaire, un client idéal. Heureusement les quelques prophètes du marché disponibles ce lundi sont là pour nous aider à trouver la voie. Le coupable, c’est la dette. Le chemin, c’est l’austérité. « Il va falloir réduire la dette », « réduire le budget de l’Etat, reprendre une gestion plus « sérieuse » et « responsable ». Et tout ira mieux demain. Nous voilà rassurés. Greenspan, Trichet, et Baroin se chargent du reste.
Exit donc les 8,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans notre pays, les 2,5 millions d’enfants qui ne peuvent pas partir en vacances, les centaines de milliers de coupures d’électricité ou de gaz, l’amoncellement des demandes de dossiers de surendettement à la Banque de France, la hausse record du chômage des derniers mois, la fin de mois dans le rouge pour des millions de ménages…
Acte 3
Mardi 9 août : the « happy pill » ou le « viagra des riches »
« Les bourses chutent encore ! » Pourquoi attendre me direz-vous ! Il faut faire avaler la pilule au plus vite aux peuples. Il faut administrer « le viagra des riches », et cette pilule-miracle, bleue foncée, c’est l’austérité !
Alors que le soleil tente de faire son retour, les experts ès sciences économiques, anciens présidents de banque centrale ou directeurs d’instituts, semblent tous rentrés précipitamment de leur séjour aux Maldives. Ils nous enjoignent « à réduire tout de suite notre train de vie », « à devenir responsables pour ne pas affecter la sortie de crise ». Tout ce que la London School of Economics compte d’experts en finances en tous genres, en mal de reconnaissance et dévalués par l’intellectuel collectif après 2008, est ressorti soudainement du formol pour repartir au combat contre les « trains de vie insoutenables » des Etats, les « aides sociales irresponsables », « l’indispensable retour à l’équilibre budgétaire »… Sarkozy se délecte de ce scénario idéal pour faire passer en force sa « règle d’or » instituant la rigueur budgétaire en nouveau pilier de la République. Les favoris du pouvoir sonnent le rappel estival, en demandant à convoquer dès maintenant une nouvelle session sur le sujet !
Voilà de quoi donner un coup de fouet à la mise en œuvre du « pacte des rapaces », et mettre un frein aux revendications démesurées des Indignés de tous les pays, qui veulent se réapproprier leur destin.
La pièce se termine. Applaudissements nourris. Distribution gratuite des « happy pills » Trichet en supplément dans La Tribune du jour.
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