Sondomania, bulle médiatique et personnalisation : d'autres perspectives à construire

    Le cocktail politique servi depuis quelques mois se résume une nouvelle fois à l’analyse et au « décryptage » par les éditocrates et les rédactions politiques des chaînes des derniers sondages d’opinion présidentiels.

    Quelques jours avant les élections cantonales, comme en 2005 lors du vote sur le Traité Constitutionnel Européen, la fabrique à consentement s’est mutée en machine à diversion et à perversion, en effaçant du « discours politique » tous les éléments de contenu. C’était la « séquence Marine Le Pen », qui s’est d’ailleurs prolongée quelques semaines au-delà, afin de capitaliser sur du « vide politique », et d’empêcher toute réflexion sur les fondamentaux de la crise et de la souffrance sociale imposée au peuple.

    Sans vouloir être trop long sur les mécanismes en place, je voudrais revenir sur quelques-unes des conséquences politiques qu’ils entretiennent, avant d’ébaucher quelques perspectives qui me semblent indispensables pour les communistes et le Front de Gauche.

    Je passe naturellement sur l’ensemble des artefacts inhérents à la commande privée des sondages, à la conception, à la méthode d’administration, au contenu, aux méthodes de redressement comme aux analyses journalistiques plutôt « romanesques » des multiples sondages d’opinion sur l’élection présidentielle.
Ils concentrent, comme d’habitude, tout ce qu’un étudiant qui voudrait mettre en pratique une technique de sondage, ne doit pas faire s’il veut éviter les biais qui faussent les réponses et les résultats.
    Là n’est pas l’essentiel, car ce qui est en jeu de mon point de vue, c’est surtout ce nouveau pas dans la prophétisation du débat politique et des résultats électoraux. Rien ne doit venir contrarier « la petite histoire de la présidentielle ».

    Ainsi chaque jour, nous avons droit au défilé de petites phrases des « personnalités » qualifiées de « qualifiées » pour concourir.
S’ensuit toute une série de sondages, censés évaluer l’opinion, mais sur les bases de personnalités qui ne se sont pour certaines même pas déclarées candidates pour l’heure.
    Non seulement ces sondages sont des instruments de mesure douteux sur le plan scientifique, puisqu’ils sélectionnent et hiérarchisent les personnes au bon vouloir du commanditaire privé, mais surtout ils construisent une véritable prescription électorale que Bourdieu aurait pu qualifier « d’auto réalisatrice ».
Ainsi, on donne le soin aux « instituts » et à leurs responsables en communication politique, d’analyser les résultats, aux éditocrates de commenter les analyses, et aux journalistes de télévision de les relayer avec la plus grande rigueur journalistique !
    Ainsi tel sujet est à l’ordre du jour, tel autre n’est pas jugé digne d’intérêt. Telle personnalité « mérite d’être » sondée, telle autre n’a pas sa place. Tel duel fera « le buzz », alors que tel autre n’a pas la côte médiatique. Et ainsi de suite.

    Au fur et à mesure que l’on avance vers 2012, la sondamania devient l’horizon indépassable du débat politique. On prophétise les rapports de force du premier tour pour mieux imposer le cadre du second.
    Pour enrichir cette fabrique à consentement, les émissions sur « 2012 » deviennent des sujets politiques en soi. Elles envahissent tout l’espace médiatique télévisuel et Internet, orientant par là la presse nationale comme régionale.
    Le temps d’échange sur les contenus politiques se restreint de plus en plus, à l’exception des quelques séquences minutées consacrées à la présentation du « projet » du nouveau candidat déclaré, au profit des commentaires sur l’adversaire désigné, ou sur le concurrent caché, en essayant d’arracher la petite phrase qui permettra de construire la petite histoire présidentielle du lendemain.
Quand il s’agit enfin d’en venir aux « sujets politiques », on assiste le plus fréquemment à la même démarche : jouer sur les peurs et les sentiments pour concentrer les débats sur des thématiques et des postures prédéterminées.

    Cette machinerie médiatique a ses propres codes, ses règles et ses « entrées ». Activement orchestrée par le pouvoir, je ne me fais pas d’illusion sur notre capacité à l’infléchir.
    Bien évidemment, ces atteintes permanentes à la démocratie ne doivent plus avoir de place dans notre conception de la société du XXIème siècle.
Mais, dans ce contexte, faut-il chercher à concentrer notre combat politique dans un cadre sur lequel nous avons bien peu de prise ? Faut-il s’en tenir à servir le roman médiatique de la présidentielle en y apportant une posture radicale ? Faut-il jouer la carte de la personnalisation dans la course à la personnalisation, dans le grand concours privé des professionnels de la politique ?

    Je ne le crois pas. Car je le dis comme je le pense, tout ce qui sera artificiel dans le cadre de notre rassemblement sera au final balayé le jour de l’élection. Nous le savons trop bien, l’élection présidentielle n’est pas la tasse de thé des communistes.
    Elle est profondément contraire à nos valeurs et à notre pratique.
    Pour autant, elle structure le débat politique de notre pays, et je suis convaincu qu’il faut la prendre comme une opportunité plutôt que d’essayer de lui tourner le dos en mettant la tête dans le seau.
    Faire de cette élection une opportunité, c’est je crois, agir pour mettre les Françaises et les Français au centre du débat politique, leur faire toucher qu’ils sont maîtres de leur avenir mais qu’il faut pour cela qu’ils prennent leur destin en main. Cela exige de nous de nous positionner comme un outil, un lien entre les citoyens et la construction politique.
    Cette mise à disposition du Parti communiste et du Front de gauche nécessite un effort et une détermination sans précédent. Et je dirais que l’essentiel est une question de « pratique », et qu’elle doit être avancée sans retenue.
Contrairement à ce que l’on entend sur les ondes, l’enjeu démocratique ne se situe pas seulement de l’autre côté de la Méditerranée. Il se situe aujourd’hui aussi dans la conception que nous voulons donner à notre République. Et nous pouvons, je le crois, commencer à donner du corps à notre conception d’une VIème République, en se servant de l’échéance présidentielle.

    Qu’est ce que cela implique ?

    Je pense que nous ne pouvons pas nous contenter de faire vivre la construction d’un programme uniquement dans le cadre des partis composant le Front de gauche, en le portant ensuite de façon mécanique au « peuple ». Je sais que le cadre du programme partagé a ses qualités, rassemblant les contributions de nombreux intellectuels, d’acteurs du mouvement social. Je sais que les propositions programmatiques qui commencent à le constituer sont de bonne valeur, même si je pense personnellement qu’elles réservent trop de place à une conception socialiste et républicaine de la société, plutôt qu’à des références intellectuelles communistes et « néo-marxistes ».
    Mais aussi ambitieux et légitime que soit ce programme, le résultat d’une pratique de construction rapide et experte, nous le connaissons ! Et la force du jeu médiatique affaiblira d’autant plus cette démarche qu’elle présentera un caractère conventionnel.

    Au-delà des réponses politiques toutes préparées, voire assénées à des récepteurs qui ne les reçoivent plus, je crois qu’une des exigences fondamentales pour le Front de Gauche est de porter un message mobilisateur, qui soit à la fois un message d’humanité et de solidarité, un message audible et politique à la fois. C’est d’abord un message d’engagement que nous devons porter !
    Sans infantiliser, il faut à mon sens bien intégrer dans la pratique politique, le recul politique dans les consciences, particulièrement pour les classes populaires, entretenu par 30 années de précarisation et de paupérisation, de distension du lien social, de relégation et de reproduction sociale, mais aussi de délégation extrême du pouvoir et de rupture entre les citoyens et « le » politique.
    C’est donc d’abord un message de confiance dans l’engagement collectif qu’il faut faire émerger. Et ce message-là ne se porte pas dans les salles de congrès, mais plutôt chez le voisin de pallier, d’allée, de rue ou de village.

    A ce titre, nous sortons d’une élection cantonale où les militants communistes et du Front de Gauche ont pour beaucoup d’entre eux été au contact des populations les plus en difficultés, au contact des salariés. Malgré l’abstention record, je crois que ce travail d’humanité et de contact a eu, certes de façon hétérogène, une certaine résonance. La « façon de faire » n’a pas été sans incidence sur les résultats du Front de gauche dans le contexte politique que nous connaissons.
    Je me pose dès lors plusieurs questions : les électeurs ont-ils d’abord reconnu la « parole politique » des candidats, ou la façon de faire de la politique ? Ont-ils d’abord été séduits par le contenu transformateur du projet et les expressions publiques du Front de Gauche, ou par la relation humaine et constructive qui s’est instaurée entre ces propositions et leurs attentes dans les courts instants d’échange qu’impose une campagne électorale ? Que cherchaient-t-ils au fond dans le Front de Gauche et qu’y ont-ils reconnus ?
    Je crois que ces questions ne sont pas accessoires au moment où se profilent d’autres échéances politiques comme les élections législatives et présidentielles.
    Et que nous devons tirer tous les enseignements de la pratique politique entretenue au cours de cette campagne, comme des liens permanents que nous entretenons avec les citoyens ou le mouvement social.
    Je crois par ailleurs, qu’en lien direct avec leur vécu, avec les restrictions individuelles ou familiales qu’ils consentent, avec toutes les petites souffrances quotidiennes que leur impose le libéralisme, les citoyens sont devenus plus réceptifs à l’idée qu’il faut changer les choses. C’est un point positif. Mais dans le même temps, ils sont pour autant loin d’être convaincus que c’est sur la voie politique du Front de Gauche qu’il faut s’engager.

    Aussi ce n’est pas seulement, comme le demandent avec vigueur certains au sein du Front de Gauche, une question de volonté « d’ouverture » qui permettra spontanément de franchir ce pas. On peut « ouvrir » le Front de Gauche tant que l’on voudra, ce n’est pas pour autant que nous verrons affluer les citoyens et les militants de gauche.
    Ce n’est pas dans l’appel à l’ouverture permanente que se situe de mon point de vue le point de blocage à lever pour que se multiplient comme les pains les « comités locaux » ou autres « assemblées citoyennes ».
    Dès sa création, la volonté d’ouverture du Front de Gauche à toutes les sensibilités de la gauche de transformation sociale a été présente.
    Je crois qu’il faut être beaucoup plus réaliste, en ce sens qu’il faut être en contact avec les réalités sociales. Il n’y aura pas de vague « d’adhésion spontanée », mais il peut en revanche y avoir un vrai travail progressif de construction de l’engagement des citoyens.
    Pour ma part, je considère que le Front de Gauche ne se développera pas en jouant seulement sur le registre du « messie politique », mais plutôt en jouant le rôle de nouveau liant à l’action politique.

    Et c’est là, à mon sens, que nous n’avons pas suffisamment travaillé ces derniers temps. Comme agressés par cette question présidentielle, nous préférons trop souvent nous réfugier dans une posture, dans des discours « forts » voire « démagogiques » (au sens de la traduction future qui pourra en être faite par le système électoral et institutionnel), au détriment du travail de fond, de la prise de conscience individuelle de la nécessité du collectif, du pas vers l’action politique collective, c’est à dire de l’engagement politique sous ses formes les plus diverses. Je dirai même que pour nombre de militants, nous préférons fantasmer sur des lendemains qui chantent, plutôt que de servir nos idéaux en gardant les deux pieds sur terre.
    Sur ce constat, je pense que le sens du contact humain et de la valorisation de la parole de l’autre n’est pas un aspect moins noble de la politique, ou une question secondaire qui ne tiendrait qu’à la forme. Faire germer l’idée que l’on n’est pas isolé dans la société, et que l’on peut contribuer à sa mesure, en toute humilité, à la changer, ce n’est pas mineur. C’est le cœur, je le crois, du retour vers l’engagement, vers la construction collective et la confiance dans l’intelligence collective.
    Avec toutes les difficultés objectives que nous avons à assurer une présence sur tous les territoires, et sans rien renier du travail programmatique engagé pour porter nos valeurs, je ressens toujours plus le besoin de construire notre rassemblement autour de cet enjeu.

    Cet enjeu, il nous concerne directement comme communistes, membres du Front de Gauche, attachés à ce que la gauche gagne demain sur la conscience et le contenu politiques, et pas seulement sur l’apparence.

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