Affronter les impatiences de la « nouvelle » économie de l’environnement


Si nous disposons aujourd’hui d’une analyse critique de la financiarisation de la lutte contre le changement climatique, à travers les mécanismes promus par le protocole de Kyoto (voir notamment à ce sujet l’ouvrage d’Aurélien Bernier, Le climat : otage de la finance, Mille et une Nuits, Paris, 2008 / et aussi article sur le blog), la soif d’innovation financière et d’intégration de la question environnementale au système capitaliste ne s’est pas arrêté pas au traitement du changement climatique.

Ainsi, le grand tripatouillage de marché se construit de futures « opportunités » avec la lutte contre la perte de biodiversité, sous le patronage du secrétariat de la Convention sur le Diversité Biologique. En parcourant le numéro de juillet 2010 du magazine Planète Conservation de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), intitulé : Sauver la biodiversité - une approche économique, nous apprenons tout d’abord (page 15) que pour résoudre la question de la recherche de financements pour la protection de la biodiversité « la solution n’est pas loin » eu égard notamment « au vaste réservoir de financement » que sont les « subventions nuisibles à l’écologie » comme par exemple « les subventions à l’agriculture ». L’auteur inconnu n’est pas avare de contradictions puisque quelques lignes plus loin, il souligne qu’une « multitude de mécanismes de marché en faveur de la conservation de la nature sont déjà disponibles ou en cours d’élaboration » mais que « néanmoins le financement international de la biodiversité continue à pâtir d’un large déficit ». Dont acte.

Que proposer alors ? Vous vous en doutez un peu : one best way ! Il poursuit : « Pour y remédier, un Mécanisme de développement vert est actuellement à l’étude, qui permettrait au secteur privé de jouer un rôle plus grand dans la conservation de la biodiversité. Comme le Mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto, le Mécanisme de développement vert pourrait offrir un service environnemental et permettre ainsi aux entreprises et aux consommateurs d’acheter une protection de la biodiversité certifiée. (…) En juillet 2010, l’étude intitulée The economics of Ecosystem and Biodiversity sera publiée à destination de la communauté des affaires. Elle constituera un repère fondamental et offrira des conseils pratiques sur la façon dont les entreprises peuvent réduire les risques sur la biodiversité, mais aussi profiter de ces nouvelles opportunités nombreuses et rentables en intégrant des considérations liées à la biodiversité dans leurs pratiques commerciales habituelles. » Ne faut-il pas comprendre ici que le financement par le marché n’aura d’autre but que de faire du « marketing biodiversité », pendant que le Mécanisme de développement vert contribuera à accélérer les délocalisations avec son cortège d’effets sociaux et environnementaux ?

L’intégralité du magazine est consacrée à la définition et à la mise en place de ces mécanismes de marché pour financer la lutte contre l’érosion de la biodiversité. Le néolibéralisme a pris la question à bras le corps, pleinement conscient à la fois des « opportunités » financières et spéculatives qui se dessinent, comme de la possibilité de construire et de diffuser un nouvel imaginaire bienfaiteur de la part des agents économiques. Comme pour le changement climatique, les déconvenues risquent d’être terribles tant pour les écosystèmes que pour les hommes si cette fuite en avant vers la privatisation et la recherche effrénée de profits se poursuit.

Si nous faisons une nouvelle fois le constat de la très grande capacité d’innovation des idéologues du néolibéralisme vis-à-vis de l’intégration des grandes problématiques environnementales au système capitaliste, il appelle de mon point de vue deux types de réflexions fondamentales :
- d’une part, comment intervenir le plus efficacement sur les lieux mêmes où se dessinent et se décident les réponses socio-économiques du libéralisme, c’est à dire d’abord au sein des institutions internationales et/ou régionales ?
- D’autre part, sur des bases de propriété sociale et de gestion collective de biens communs inaliénables, comment promouvoir un « contre-modèle en actes » tout à la fois cohérent et complexe pour faire face à la privatisation sans limites des ressources naturelles et de la biosphère ? Comment travailler à l’appropriation et au soutien populaire d’un tel contre-modèle ?

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