L’instrumentalisation de la taxe carbone par le chef de l’Etat et le gouvernement pour transférer une part importante de la fiscalité des entreprises sur les ménages n’aura échappé à personne. Elle permet de justifier son siphonage de la taxe professionnelle des entreprises tout en poursuivant son braconnage écologique, dans le seul but de masquer les méfaits du système économique capitaliste sur l’environnement. Mais surtout, son principe, travaillé par une petite expertocratie climatique, auto légitimée par l’Etat, et avec l’appui des analystes économiques les plus libéraux, se révèle profondément inégalitaire.
L’exemple de ses effets pour les zones rurales est particulièrement éclairant. Sa mise en œuvre pourrait avoir des conséquences extrêmement néfastes. En effet, alors que depuis 20 ans, la démographie de l’espace périurbain et des espaces ruraux proches des grands centres urbains affiche une forte progression, les territoires situés à la marge sont restés globalement à l’écart de ce renouveau, même si leur solde migratoire est parfois redevenu légèrement positif.
Cette particularité sert toujours aujourd’hui d’alibi idéologique à toutes les formes de désintérêt, voire d’abandon, des politiques publiques que mène l’Etat sur ces territoires. La même logique d’exclusion s’applique lorsque que l’on considère la désindustrialisation de « l’espace rural isolé », qui peut être considérée comme le corollaire de deux facteurs complémentaires : d’une part, le désengagement de l’Etat en matière d’aménagement du territoire, avec la dissolution du maillage de services publics et de proximité, avec aussi la volonté de ne pas opérer de transfert de ressources compensatoires pour les différentes collectivités territoriales pour répondre aux besoins, et, d’autre part, une politique d’exacerbation de la concurrence territoriale qui s’inscrit dans le cadre de l’accélération de la compétition économique et financière internationale.
Face à ces forces centrifuges, les actifs sur ces territoires, qui ne sont pas des déserts comme beaucoup aiment à les qualifier, sont contraints d’aller toujours plus loin pour bénéficier de services publics essentiels, qui ne cessent par ailleurs d’être restructurés, regroupés ou fermés comme c’est la casdles établissements scolaires, des hôpitaux, des services fiscaux, des agences et bureaux d’EDF, de France Telecom, de La Poste... Dans le même temps, ils sont contraints d’accroître de façon considérable leurs trajets domicile-travail vers les zones d’emploi urbaines qui concentrent toujours plus d’activités.
Avec la création de la taxe carbone, l’Etat ne mesure pas la double injustice qui leur est faite. Ces ménages, aux revenus parmi les plus modestes au plan national, constitueront de véritables boucs émissaires du réchauffement climatique. Dans ce cas précis, l’Etat se targue de mettre en œuvre une taxe indispensable pour inciter nos concitoyens à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais dans les faits, ce n’est autre qu’une véritable politique de criminalisation des ruraux et du monde rural. Alors même que le mode de vie de ces personnes allie souvent une certaine frugalité en matière de biens de consommation, une part non négligeable d’autoproduction de denrées alimentaires, et des réseaux sociaux de solidarité intergénérationnels limitant le recours à certains services, voilà qu’aveuglément leur recours indispensable à l’automobile se voit pénalisé. Et que dire de l’effet de cette taxe sur les agriculteurs, si elle ne devait pas être compensée ?
Si l’Etat voulait relancer l’exode rural de ces territoires, si l’Etat voulait mettre sournoisement au ban de la société les habitants de nos zones de montagne et de moyenne montagne, il ne s’y prendrait pas autrement. Ainsi la taxe carbone, telle qu’elle sera sans doute mise en œuvre, stigmatise toute une population et conditionne un peu plus la vie, l’avenir de territoires entiers par simple application d’un écologisme de façade. Elle pourrait même s’avérer largement contre-productive en terme de limitation des rejets de gaz à effet de serre, en accentuant les délocalisations d’activités et de services.
Plus globalement, elle s’inscrit dans une vaste "réforme réactionnaire" des prélèvements publics et sociaux. En effet, tout en s’attaquant aux ménages, l’Etat contribue à dédouaner l’ensemble du système productif de ses responsabilités en terme d’émissions de gaz à effet de serre. Il en va ainsi en offrant généreusement une super-ristourne fiscale aux entreprises les plus polluantes avec la suppression de la taxe professionnelle, sans contrepartie environnementale.
Nous savons pourtant que bien d’autres dispositions fiscales auraient pu être discutées, puis mises en œuvre, pour accélérer l’indispensable mutation du tissu industriel et de services. Plutôt que de taxer injustement le consommateur final, en particulier sur des biens de première nécessité, une véritable fiscalité écologiquement dissuasive devrait s’attacher à renforcer la réorientation profonde des processus de production dans le sens de la sobriété énergétique et de la relocalisation des productions. A titre d’exemple, une modulation de la taxe professionnelle fonction de critères de qualité environnementale des équipements fonciers, de l’appareil et des équipements productifs, et de la « durabilité » des produits aurait eu tout son intérêt. Mais au lieu de pousser à l’internalisation croissante des « externalités » tant environnementales que sociales, l’Etat fait le choix de donner plus de liberté aux agents économiques, de se fier à leur sens des responsabilités collectives pour garantir l’avenir de la planète (sic).
On sait d’expérience, notamment avec le recul sur les marchés de quotas d’émissions de CO2 issus du Protocole de Kyoto, que cette politique du laisser-aller-le-marché conduit à des résultats très largement insuffisants.
Faut-il rappeler que nous sommes aujourd’hui plus qu’hier dans l’urgence ? Faut-il une nouvelle fois rappeler que pour parvenir à limiter le réchauffement climatique à 2°C, seuil au-delà duquel l’ensemble des experts du GIEC juge que des atteintes irréversibles seront portées à notre environnement et au fonctionnement général du climat, il faudrait réduire nos émissions de dioxyde de carbone de 80 à 90 % d’ici 2050 par rapport à aujourd’hui ?
Vu sous le prisme idéologique libéral, la résolution du problème climatique et des questions environnementales est systématiquement renvoyée à la responsabilité individuelle. Il faut clairement s’élever contre cette approche individualiste, car pas plus qu’elle ne résout les problèmes sociaux, elle ne peut parvenir à relever les nouveaux défis environnementaux planétaires. Elle privilégie toujours l’ajustement de court-terme, à moindre coût, le rapport de domination et la spéculation, car la fin du système capitaliste reste toujours la même : la maximisation du profit pour ceux qui détiennent les moyens de production, les capitaux.
Face à ce constat nous voyons bien que c’est le cœur du fonctionnement du système qui doit être remis en question. C’est d’une véritable révolution dont nous avons besoin, qui redonne toute sa place à des constructions théoriques toujours dénigrées par les penseurs libéraux : l’extension des services publics et des systèmes de protection sociale pour répondre durablement aux besoins fondamentaux, la gestion commune des ressources naturelles et du bien commun, l’appropriation sociale des moyens de production.
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