Quand le premier rapport du Haut conseil pour le climat dévoile l'ampleur de l'inaction climatique de l'Etat...




Le Haut Conseil pour le climat créé le 14 mai 2019 à la demande du Président de la République et "chargé d'émettre des avis et recommandations sur la mise en œuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France", a rendu son premier rapport au Premier ministre le mardi 25 juin.

Je ne reviendrai pas ici sur le fond de mon positionnement au regard des enjeux climatiques et écologiques, mais il est utile de souligner qu'alors que la quasi-totalité des membres du Haut conseil pour le climat ont été choisis pour leur expertise-accompagnement de l'Etat, notamment dans des domaines sectoriels (climatologie, physique, agriculture), et surtout pour leur vision économique très "liberal-friendly", le contenu de ce premier rapport en dit malgré tout beaucoup sur l'inaction climatique de l'Etat. 
Le décalage entre les bavardages médiatiques incessants du pouvoir sur le climat et la réalité du niveau des engagements publics et des mesures de réorientation qui seraient nécessaires pour tenir les objectifs fixés régulièrement par le cadre législatif et réglementaire (Grenelle, plan climat, Stratégie Nationale Bas Carbone, Programmation Pluriannuelle de l'Energie, aujourd'hui projet de loi Energie et Climat en débat à l'Assemblée nationale...) est saisissant.

Morceaux choisis : 

Page 19 • Les émissions liées aux produits importés et consommés par les Français ne sont pas explicitement prises en compte dans les objectifs nationaux chiffrés. En 2015, l’empreinte carbone de chaque Français est estimée à 11 tonnes de CO2-équivalent par personne et par an, lorsque la consommation finale sur le territoire est prise en compte, contre 6,6 tonnes de CO2-équivalent par personne et par an lorsque seules les émissions produites sur le territoire sont comptabilisées (voir Section I.3)."

Page 22 - En adoptant l’objectif de neutralité tous GES en 2050 dans la loi, la France maintiendrait sa position parmi les grands leaders dans l’action contre le changement climatique au niveau mondial, à condition de prendre en compte les émissions provenant des transports internationaux et de veiller à maîtriser les émissions liées aux importations de la France (voir encadré 3)."

Page 25 - Les conditions d’atteinte de l’objectif de neutralité carbone doivent être clarifiées, afin de supprimer les ambiguïtés. L’objectif demeure flou dans son opérationnalisation.
Le non-recours aux crédits internationaux pour l’atteinte de la neutralité tous gaz en 2050 doit être clarifié et inscrit dans la loi énergie 2019. Le scénario du projet SNBC2 « vise l’atteinte de la neutralité carbone sans recours à la compensation par des crédits carbone en 2050 » mais cette exclusion n’apparaît pas dans le projet de loi relatif à l’énergie et au climat. L’absence d’engagement juridique appelle à demander comment mettre en pratique cet objectif et pose la question de la faisabilité en pratique de la neutralité sans compensation. La façon dont cette exclusion se fera en pratique doit être explicitée.

Page 26 - • L’atteinte de la neutralité tous gaz nécessite des efforts dans l’ensemble des secteurs de l’économie pour assurer la réduction des émissions de CO2 et des autres GES :
- La consommation d’énergie doit être décarbonée par le biais de la sobriété, de l’efficacité énergétique et de la décarbonation des vecteurs énergétiques, en particulier pour la France, les transports et le chauffage. 

Page 26 - • Le scénario de la SNBC propose une électrification importante des usages de l’énergie (transport, procédés industriels, chaleur...), sans expliciter les conditions opérationnelles d’atteinte de ces objectifs. 


Mention spéciale pour le secteur des Transports qui nous est cher :

Page 28 - • Les secteurs des bâtiments et du transport, deux des secteurs les plus émetteurs (voir encadré 4) ont accumulé des retards importants par rapport à la trajectoire SNBC1 

A mettre en lien avec la précision page 29 : "Le secteur transport compte pour 31% des émissions nationales en 2018 (137 MtCO2e en 2018). Ses émissions proviennent du transport de voyageurs (60% des émissions de ce secteur), du transport des marchandises (21%), et des véhicules utilitaires légers (19%)."

Page 32 - Les émissions du secteur transport ont augmenté de 10% entre 1990 et 2018. La croissance de la demande dans ce secteur a été plus forte que les gains en émissions faits par ailleurs. Les gains d’efficacité des véhicules ou de contenu carbone de l’énergie finale (agrocarburants +7% et électrification +0,4% de l’énergie finale des transports) n’ont pas compensé la croissance de la demande et la baisse du taux d’occupation des véhicules. En dehors de 1995-2010 où la part modale du rail a cru de trois points pour les voyageurs, les reports modaux observés ont été en faveur des modes fortement carbonés (deux-roues motorisés, poids lourds).

Page 38 - Un transfert modal mineur (0,1 points de % par an) s’est fait au profit de la voiture, alors que le scénario de la SNBC1 visait un report (0,4 points de % par an) vers le rail, les modes actifs (vélo, marche, …) et les transports en commun.
(On mesure ici à quel point la suppression des lignes et du transport fret SNCF est efficace ! Et à quel point la proposition de loi des députés communistes en faveur de la gratuité des transports en commun est inutile.)

Page 39 - • S’agissant du transport de marchandises et véhicules utilitaires légers, la trajectoire n’a pas évolué, soulevant la question de l’adéquation des politiques publiques avec les objectifs de décarbonation du sous-secteur. 
(Comme ces choses-là sont joliment dites pour ne pas trop froisser sic) 

Toujours page 39 - La part modale de la route est restée stable alors que le scénario SNBC1 visait un transfert de 0,3 points de % par an vers les autres modes, essentiellement le rail. L’adéquation des politiques publiques de ces modes avec les objectifs de décarbonation est à questionner, en particulier compte tenu de décisions telles que l’abscence de l’éco-taxe, ou les exonérations de fiscalité sur les carburants pour certaines activités.

- Dans le secteur du transport, le secteur ferroviaire est caractérisé par le rôle de l’Etat dans la gouvernance d’acteurs clés du secteur et par les ambitions de la SNBC1 sur les reports modaux (voyageur et fret).
 › Ainsi, en complément des politiques publiques encadrant ce secteur, l’absence de report modal vers le rail interroge quant à l’alignement de l’action de l’Etat dans son rôle de gouvernance vis-à-vis des transformations structurelles portées par la SNBC1. 
(Ici nous atteignons un très très haut niveau de jargon technocratique. Les rapporteurs me font penser à la célèbre formule, ils sont "comme une poule qui a trouvé un couteau". Ils découvrent l'ampleur du désastre de 30 années de démantèlement du service public ferroviaire... mais n'irons surtout pas dire qu'il faudrait reconstruire un grand service public ferroviaire, non, non...)

Mention spéciale délicatesse de l'analyse :

Page 46 : 
III.1 - Les objectifs bas-carbone ne sont pas pris en compte dans les lois hors climat, qui ont un impact potentiel majeur sur les émissions de GES, aussi bien que les lois climat.
Et :
• Des textes de loi tels la loi de finances ou l’ensemble des textes touchant à l’aménagement du territoire impactent directement ou indirectement l’ensemble des secteurs émetteurs (transport, bâtiment, agriculture, alimentation, utilisation des sols, industrie,…).
NDLR : On entend déjà les hauts cris du Haut conseil pour le climat au moment de la prochaine présentation du PLF pour 2020 en septembre, lorsque les crédits consacrés à toutes les politiques publiques seront encore amputés pour satisfaire aux exigences de la finance...

...

Pour les plus valeureux, une lecture intégrale s'impose : téléchargez le rapport ici

Et sur le même sujet : "Le Haut Conseil pour le Climat frise la Révolution", blog de Sylvestre Huet, 3 juillet 2019



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