Et si la transition écologique avait (surtout) besoin de révolutions ?


On ne compte plus les appels de personnalités publiques, d’ONG ou de scientifiques demandant à accélérer l’engagement des Etats dans la lutte contre le réchauffement climatique ou stopper l’érosion accélérée de la biodiversité planétaire. Certains rassemblent plusieurs millions de signataires. Leur contenu souligne l’urgence d’une action déterminée de l’ensemble de la société. Ils s’appuient généralement sur les dernières données, toujours plus inquiétantes, du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ou de la Plate-Forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
Face au constat d’urgence, nous partageons l’idée qu’une action politique résolue et déterminée s’impose. Mais les réorientations sociales et économiques envisagées par ces appels demeurent souvent très généralistes[1]. On peut se dire que c’est logique, puisque cette forme de mobilisation publique se veut volontairement inclusive afin de rassembler des sensibilités différentes dans un combat commun, un combat écologique qui doit être celui de l’ensemble de l’humanité.


Déconstruire la prophétie de la « neutralité écologique »

Mais nous pouvons aussi nous interroger sur l’exclusion quasi-systématique de la mobilisation publique sur les enjeux écologiques d’une présentation de données scientifiques issues des sciences sociales, démontrant les ressorts du système économique capitaliste, de ses conséquences humaines et sociales en termes d’inégalités ou de ponctions sur les ressources. Ou sur l’absence totale d’analyse des rapports de force et de la lutte pour la domination du champ de l’écologie politique ?

Cette interrogation nous paraît d’autant plus légitime que beaucoup de personnes construisent aujourd’hui leur chemin de pensée écologique. C’est notre responsabilité que de poser clairement l’ensemble des constats scientifiques et des enjeux politiques notamment pour ces jeunes générations qui s’engagent aujourd’hui dans des « grèves pour le climat » avec le mouvement YouthForClimate. Elles et ils seront demain les plus déterminés à agir politiquement et matériellement pour une société où la pérennité de  notre biosphère et la fonctionnalité de nos écosystèmes doivent être placées au cœur de la réorientation de l’ensemble des activités humaines.
D’autant plus qu’en tant que militants politiques, nous constatons que l’idée selon laquelle « l’écologie » ne serait ni de droite, ni de gauche progresse. Les tenants d’une « écologie de marché », jugée seule capable de répondre aux enjeux de notre siècle, travaillent le débat public et l’ensemble des forces politiques qui se sont historiquement construites  sur  « l’écologie » en France, en Europe comme dans le monde.
Cette mise à l’écart d’une partie de la problématique écologique intervient alors que dans le même temps, le « greenwashing » de l’économie capitaliste se poursuit, sans altérer le moins du monde les mécanismes de spéculation financière, d’accumulation et de concentration des richesses produites par le travail humain, ou la croissance vertigineuse des inégalités sociales et de patrimoine.

Serait-ce aussi blasphémer l’œcuménisme écologique ambiant que de s’interroger lucidement sur la portée et le contenu du concept de « transition écologique » alors qu’il fait l’objet d’un intense travail politique de détournement, à la manière d’ailleurs dont a pu l’être dans les années 1990-2000 le concept de « développement durable » ? Nous pensons au contraire qu’il est plus utile que jamais de ne rien cacher de ce travail idéologique et politique, conduit tout autant par le courant libéral que par le courant réformiste : l’un pour tenter de justifier sur le terrain écologique la vertu indépassable du marché et de l’accumulation capitaliste ; l’autre cherchant les voies d’une renaissance dans le champ de l’écologie politique faute d’avoir su (voulu) agir efficacement face à un capitalisme mondialisé devenu totalement « cannibale », comme se plaît à juste titre à le répéter Jean Ziegler.
Alors que le capitalisme démontre chaque jour l’étendue de ses conséquences, tant en vie humaines qu’en consommation de ressources naturelles, la lucidité politique de notre temps consisterait-elle uniquement à lui chercher une opportunité morale de rachat écologique ? La question mérite d’être posée. Et c’est sur ce point particulier que notre spécificité de militants « écommunistes » mérite, elle, d’être portée.


Présenter clairement nos propositions d’action systémiques et révolutionnaires

Ne cherchons pas à cacher notre singularité dans le champ de l’écologie politique. Elle repose à mon sens sur deux pieds :
-  dévoiler et dénoncer les immenses gâchis et inefficacités inhérentes au système capitaliste pour l’atteinte des objectifs écologiques de notre temps ; 
-  proposer une action systémique et révolutionnaire dans tous les domaines qui impactent l’avenir de notre biosphère.
Au lieu de susciter uniquement notre accompagnement public, la thématique de la « transition écologique » doit permettre d’ouvrir en grand le débat de fond, contradictoire et exigeant, sur l’efficacité des choix politiques, économiques et sociaux de notre siècle en direction d’une société humanisée et en capacité d’assurer la pérennité de son environnement.
    
Oui, nous nous devons d’exprimer que sur le terrain climatique, priorité des priorités écologiques, nous sommes placés devant des exigences d’efficacité, qui nécessitent selon nous des révolutions.
Oui, nous pensons que l’efficacité écologique et sociale passe par une révolution dans les rapports de production, avec la maîtrise sociale et collective des moyens de production et de nouveaux critères de gestion des entreprises pour des réorientations majeures des biens et services produits et de leur mode de distribution. Ce renversement est déterminant dans la capacité réelle de réorientation des choix de production futurs.
Oui, nous pensons que la réponse à la crise climatique et écologique doit s’appuyer sur une révolution dans l’analyse de la création des richesses et dans les mécanismes de leur distribution pour permettre à tous d’être en capacité de changer ses consommations, à contresens de toutes les théories néolibérales de compression des salaires et des ressources issues de la redistribution.
Oui, nous formulons des propositions cohérentes pour une révolution dans les politiques financières, monétaires et de crédit, pour pénaliser lourdement jusqu’à les interdire, toutes les démarches spéculatives et de rendements financiers à court terme qui conduisent à accélérer les atteintes environnementales et climatiques, et dans le même temps, pour soutenir les investissements vertueux en faveur de l’efficacité et de la limitation de la consommation énergétiques, de la décarbonation de l’économie[2], de la restauration des écosystèmes altérés, du développement de l’emploi et de la formation.
Oui, nous défendons dans le même temps une révolution en faveur de l’extension des services publics à de nouveaux secteurs à dégager impérativement des critères de rentabilité, et avec des perspectives de « gratuité » pour les usagers dans des secteurs clés (accès à une énergie décarbonée, accès aux transports publics, accès à l’eau) seuls à même d’exercer de vrais effets leviers écologiques.
Oui, nous défendons des révolutions en faveur de la définition et de la gestion socialisée de biens communs de l’humanité.
Oui, nous jugeons utile de mettre dans le débat public l’idée selon laquelle l’atteinte de la « neutralité carbone » en 2050[3] est à relier à la recherche de la « neutralité du coût du capital » à ce même horizon.
Oui, nous soutenons que tout le produit du travail humain doit être consacré efficacement à la satisfaction des besoins fondamentaux dans un cadre d’émissions nulles, voire de stockage de carbone, en évitant ainsi tous les gâchis inhérents aux prélèvements exorbitants du capital.
Oui, nous partageons les attendus des scientifiques du GIEC[4] qui démontrent l’indispensable rupture dès 2020-2025 des émissions mondiales, et nous considérons en ce sens que ce sont nos choix d’investissements publics, nos choix budgétaires d’aujourd’hui, qui déterminent déjà les conditions de cette rupture dans les émissions dès 2020 – 2025. Oui, nous défendons pour cela une révolution fiscale et budgétaire, avec la récupération immédiate des centaines de milliards d’euros perdus rien qu’en France dans l’évasion fiscale et le coût du capital (dividendes, intérêts bancaires…), pour de nouvelles recettes au service de nouvelles dépenses écologiques et sociales.
Oui, nous pensons que pour accomplir cette ambition, il n’y a rien de plus efficace que de soustraire les leviers d’action à ceux qui sont les premiers responsables des surproductions, des malproductions, des surconsommations, des pollutions (c’est-à-dire à ceux qui sont les champions du monde de la suraccumulation de capitaux, actionnaires des grands groupes transnationaux financiers et non-financiers), pour les confier démocratiquement aux citoyens agissant dans l’intérêt de toute l’humanité.  
Oui, nous défendons une exception agricole et alimentaire, et l’exclusion de ce secteur de la concurrence mondialisée et du libre-échange. C’est un impératif pour défendre tant les agricultures vivrières et l’emploi agricole sur tous les continents, que pour préserver les capacités de nourrir demain l’humanité avec des agrosystèmes fertiles et fonctionnels.
Oui, les communistes pensent qu’il faut mobiliser toutes les intelligences humaines vers une logique d’intérêt général climatique et environnemental, et que cela nécessite une rupture révolutionnaire dans la conception des échanges mondiaux, avec une priorité à la coopération internationale et régionale et au transfert des connaissances et des technologies.

Oui, il nous semble que le débat sur les leviers politiques et sociaux efficaces pour assurer la « transition écologique » peuvent s’appuyer utilement sur le courant de pensée progressiste et révolutionnaire.

Julien Brugerolles






[1] Le dernier appel de 200 personnalités publié par Le Monde le 3 septembre 2018 est à ce titre particulièrement symbolique. Texte volontairement court, voici sa conclusion politique : « Nous considérons donc que toute action politique qui ne ferait pas de la lutte contre ce cataclysme sa priorité concrète, annoncée et assumée, ne serait plus crédible. Nous considérons qu’un gouvernement qui ne ferait pas du sauvetage de ce qui peut encore l’être son objectif premier et revendiqué ne saurait être pris au sérieux. Nous proposons le choix du politique – loin des lobbys – et des mesures potentiellement impopulaires qui en résulteront. » Que faut-il donc concrètement comprendre de cet appel au sérieux et à la responsabilité politique ? On ne sait pas.
[2]  Un des exemples les plus marquants réside sans doute en France dans les délocalisations industrielles massives que nous n’avons eu de cesse de combattre, tandis que l’empreinte carbone de nos importations de produits manufacturés est estimée aujourd’hui en France à près d'un tiers des émissions de CO2 réelles et le plus souvent masquée dans les statistiques nationales d’émissions de gaz à effet de serre. Voir à ce sujet les pages 38 et 39 du « Chiffres-clés du climat » publié chaque année par le Commissariat général au développement durable.
[4] A la lumière notamment du dernier « résumé à l’intention des décideurs » du «rapport spécial » du GIEC sur l’objectif d’un réchauffement global limité à 1,5°C et de sa page 19 qui définit très clairement les « chemins » à emprunter pour atteindre cet objectif sous forme de scénarios de réduction des émissions.

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